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descendants des quelque cent ou cent cinquante ménages immigrés avant 1680, ou fondés en terre américaine, avant cette date, tel celui de Louis Garnaud et de Marie Mazoué. Le bas Saint-Laurent était une large rue fluviale, entre des domaines cultivés, tous de même type, une « marine » en bordure du « chemin qui marche, » des champs et des prés avec l’habitation au milieu, remontant au niveau du plateau ambiant et. derrière, la lisière commune des bois, sur lesquels les défrichements gagnaient, quand la fortune était favorable ou que les familles s’accroissaient : telle était la disposition uniforme des côtes, où l’on vivait, sinon sans paroles, car le rural français, même en Amérique, se plaît aux bavardages et aux récits des veillées, du moins sans « histoires. »

Les villes, Québec, Trois-Rivières, Montréal étaient plus bruyantes ; bourgs naturellement posés sur les confluents, fortifiés de palissades en rondins pour résister aux Iroquois féroces, c’étaient des marchés temporaires, lorsqu’abordaient au printemps, à l’ouverture des glaces, les navires de France, puis, lorsqu’ils repartaient, chargés de pelleteries, en juillet ou en août. Il y avait alors des fêtes et, dans les milieux du Gouvernement et de l’Eglise, pas mal d’agitation ; on recevait la correspondance, les ordres de la Cour, les approvisionnements d’armes, des matériaux, des vivres. Que l’on évoque les minutes de l’arrivée du courrier, dans un poste reculé de nos colonies africaines, et l’on imaginera ce qu’était alors, — allégresse, déceptions, intrigues, — le mouvement en explosion de tout ce petit monde. Mais les habitants, c’est-à-dire les agriculteurs de la campagne, n’y participaient guère. Dans les forts, sur les gués où se rencontraient sauvages et coureurs de bois, il n’y avait non plus d’existence active que quelques jours par an. C’est l’écho de ces réunions qui retentissait jusqu’en France, tandis qu’on ignorait le labeur obscur des habitants. Ceux-là à la rigueur, auraient pu se passer des vaisseaux de France, car ils mangeaient leurs grains, leurs pommes et leurs volailles, logeaient entre les troncs abattus à portée de leurs champs, s’habillaient de fourrures dont la nature renouvelait sans cesse les réserves sous leur main.

Ne soyons injustes cependant, ni pour les administrateurs qui vivaient dans les villes et ne demeuraient généralement pas très longtemps dans la colonie, ni pour les aventuriers, qui se