Page:Revue des Deux Mondes - 1922 - tome 11.djvu/687

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

lançaient vers le Nord et l’Ouest au-devant des sauvages. Les administrateurs, et parmi eux nous comprenons les membres du clergé sédentaire, ont maintenu en Canada un niveau de culture française. Un gouverneur général encourut un jour des censures ecclésiastiques pour avoir monté dans son modeste palais une représentation de Tartufe. Cette audace ne l’éloignait pourtant pas des cérémonies religieuses, toujours très suivies, et marquées par des sermons nullement indignes des contemporains de Bourdaloue et de Bossuet. Le parler français du Canada n’a point évolué aussi vite que celui de France, parce qu’il s’est trouvé confiné dans un cercle plus étroit, isolé des apports du dehors ; il n’a reçu qu’à partir du XVIIIe siècle des infiltrations anglaises. A l’époque de Frontenac et de Montcalm, l’école primaire canadienne n’était guère différente de la famille elle-même ; pendant longtemps, comme on ne voulait pas de procès dans la Nouvelle France, on n’y laissait point entrer les « avocats et procureurs »... La vie intime de cette société toute concentrée n’en était que plus savoureuse ; son passé originel transparaît dans son présent d’aujourd’hui.

Quant aux coureurs de bois, ils étaient les agents, souvent conscients et reconnus, de la politique indigène en Canada, des résidents ambulants, pourrait-on dire, si ces mots ne juraient du rapprochement. Lorsque, dans les débuts de la colonie, les administrateurs cherchaient des concours de partisans contre les Iroquois, les trappeurs habitués des Ontaouais, des Algonquins, des Gurons portaient à ces tribus les messages du Gouverneur général ; ils leur faisaient passer des fusils et de la poudre ; ils les réunissaient en grandes palabres au cours desquels on brandissait la hache de guerre. Frontenac, dont l’ascendant personnel sur les sauvages était considérable, ne dédaignait point de paraître solennellement en ces assises et d’y fumer, suivant tous les rites de la forêt, le calumet de la paix. Montcalm, un siècle plus tard, disait que les corps francs de ces indigènes, encadrés de coureurs de bois, lui tenaient lieu de cavalerie. Certes, il y eut fréquemment conflit entre des coureurs et des missionnaires, désireux les uns et les autres, pour des motifs divers, de demeurer les intermédiaires souverains des relations entre le bas Saint-Laurent et le haut pays : mais ces pionniers concouraient tous, en fait, à la découverte et à la diffusion de l’autorité française.