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de son pays a fait archéologue. Que ne sait-il pas de notre histoire ? Des Clouet à Corot, d’Eugène Delacroix à Millet, il a promené en tous sens son inlassable curiosité. La passion des choses d’autrefois ne nuit pas chez lui au goût des choses contemporaines, comme en témoigne la collection, commencée par son grand-père Adolphe Moreau, continuée et accrue par lui, qu’il a léguée au Louvre, et qui constitue, pour notre art du XIXe siècle, ce qu’est la collection La Caze pour nos maîtres du XVIIIe. C’est un de ces grands amateurs bourgeois, du type des frères Rouart, qui composent chez nous l’aristocratie du goût.

Mais là n’est pas ce qu’il a de plus original. Une des conséquences de la loi de Séparation était le délabrement auquel la suppression du budget des cultes réduisait la plupart de nos églises de campagne. On se souvient du cri d’alarme jeté par M. Maurice Barrès dans son beau livre, la Grande Pitié des Églises de France. M. Moreau-Nélaton ne disposait pas, comme l’écrivain-député, de la tribune du Parlement, mais il n’avait pas moins de zèle. Comme avait fait l’architecte Max Doumic pour les plus ruineuses entre les églises de l’Aisne, lui aussi se mit en campagne ; muni pour tout bagage d’un objectif de photographe, il partit de son pied léger par les routes du Tardenois, allant de clocher en clocher, et portraicturant en chemin ces jolies vieilles délaissées, aïeules de tant de générations bercées tour à tour sur leurs genoux, déjà branlantes, décrépites, et qu’une loi imprudente condamnait désormais à mort. Avant qu’elles disparussent, il voulait fixer leur image. Et de ces excursions à travers deux « arrondissements » de France, ceux de Soissons et de Château-Thierry, il rapportait ces six volumes, cette admirable flore des Églises de chez nous, le plus touchant bouquet de beautés spirituelles que l’on pût recueillir sur un si petit espace dans aucun autre pays du monde.

Il était temps. C’était quelques mois avant la guerre. On eût dit qu’un obscur pressentiment avait averti le pèlerin de la catastrophe prochaine. En 1917, il y avait déjà beaucoup d’irréparable. Mais beaucoup de choses étaient sauvées, ou bien n’avaient reçu que des blessures légères. Il nous restait à voir le pire. Les six ou huit semaines de la seconde invasion, lorsque l’ennemi creva par la fameuse « poche » de l’Aisne, enfonçant le chemin des Dames, coûtèrent au centuple les horreurs de la première. Elles firent plus de mal que quatre ans de combats sur un front