Page:Revue des Deux Mondes - 1922 - tome 11.djvu/697

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

immobile. Tout le pays fut détruit dans l’affreux ressac des armées. La victoire nous rendit un désert et des ruines.

Ce sont ces ruines, cette immense balafre qui traverse de la mer aux Vosges le visage de la France, que la direction de la Gazette des Beaux-Arts a entrepris de faire connaître. Elle a voulu faire le compte de ce que la sauvagerie d’un ennemi savant a coûté à la beauté de notre pays. L’ouvrage est bien digne d’une maison qui s’honore, depuis soixante ans, d’avoir servi mieux qu’aucune autre la gloire de l’art français. Au moment où l’Allemagne chicane pour échapper aux conséquences de ses méfaits, où elle mène dans le monde un vaste effort de propagande pour se dérober au châtiment, il est juste, il est nécessaire de remettre sous les yeux de l’univers le tableau de ses crimes. Il fallait qu’il y eût un recueil pour conserver l’image de tant de choses précieuses qui étaient venues jusqu’à nous et qui devaient durer encore ; elles n’étaient pas si vieilles qu’elles n’eussent devant elles quelques siècles d’existence ; elles avaient formé beaucoup d’âmes françaises, elles pouvaient en former encore beaucoup d’autres, et maintenant personne ne les reverra plus. Les ruines matérielles seront réparées avec le travail et le temps ; mais la destruction d’un chef-d’œuvre est une perte que rien, fût-ce un autre chef-d’œuvre, ne saurait remplacer. Ce sont des choses qui ne se font qu’une fois. Il n’y aura plus jamais rien qui ressemble au siècle de saint Louis et au dix-huitième siècle français. Ce qui est détruit est détruit. C’était donc un devoir pieux de perpétuer la seule chose qu’il fût en notre pouvoir de sauver, c’est-à-dire le souvenir de ce qui était et qui n’est plus. C’est le seul monument qui nous reste d’un incomparable trésor, trop ignoré du plus grand nombre, et qu’on ne pourra plus connaitre que par les portraits de ce recueil.

L’ensemble de l’ouvrage comprendra dix volumes de planches : le « front » a été partagé en secteurs, qui correspondent à peu près aux anciens secteurs des armées : Vosges, Meuse, Lorraine, Champagne (deux volumes), Ile-de-France, Picardie, Artois, Ponthieu, Flandres. M. André Michel, professeur au Collège de France, dont la voix généreuse et le bon sens grondant s’élèvent depuis trente ans pour l’honneur de toutes nos hautes traditions, le maître dont l’autorité est venue à bout de mener à bien la grande Histoire de l’Art, un des livres de ce temps qui honorent le plus l’école française, le savant vénéré qui, ayant