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donné toute sa vie à la patrie, lui a fait le sacrifice le plus rude à un cœur de père, a pris le commandement de cette nouvelle entreprise, où il s’agissait une fois de plus du service de la France. Les deux premiers volumes ont paru : l’Ile-de-France, par M. Marcel Aubert, auteur de livres savants sur la cathédrale de Sentis et Notre-Dame de Paris, et un volume intitulé Du Laonnois à la Brie, par M. Moreau-Nélaton.

Il était juste de commencer par ce pays, qui est celui où l’art français a commencé, et qui fut le berceau de la plus merveilleuse des inventions françaises, de cette architecture si mal appelée gothique, qui a été pendant quatre siècles la forme des idées de toute la chrétienté. Pourquoi faut-il que la guerre, en France, se fasse presque nécessairement sur ce petit territoire où elle ne peut faire un pas sans fouler des chefs-d’œuvre, et qui devrait être sacré à l’égal de l’Attique ou de la Toscane, comme un des joyaux de la terre ? A peine trouverait-on en France un ou deux autres cantons qui fussent en état de le disputer à celui-là pour la noblesse de leurs titres artistiques. Les fameux châteaux de la Loire, les magnifiques vestiges romains de la Provence, seraient peut-être, s’il fallait les perdre, un sacrifice moins cruel. C’est la terre des belles églises. Ce n’est pas en vain que, dans son ordre du jour, le général chargé de boucher la brèche devant Noyon parlait à ses soldats de défendre « le cœur de la France. » Cœur trop tendre, toujours menacé ! Là naquirent les plus beaux rêves, là se créèrent en foule les œuvres les plus charmantes ; et nul ne sait encore tout ce que la guerre a piétiné.

On est trop porté en effet à ne considérer dans la guerre que les victimes célèbres : toute l’horreur s’est cristallisée autour de quelques monuments connus de tout le monde, comme la cathédrale de Reims, ou celles de Noyon et de Soissons. Les coups qui accablaient ces monuments illustres ont retenti longuement dans la conscience du monde. Et il est bien certain que l’Allemagne, en s’attaquant à ces pierres sacrées, savait bien ce qu’elle faisait : elle espérait nous faire crier grâce. C’était le régime de la torture. Invention de bourreaux méthodiques et atroces. Mais les grands monuments s’en tireront toujours. Il ne manquera jamais d’aumônes pour sauver la merveille de Reims : ce malheur illustre est assuré de la pitié universelle. On ne refera jamais sans doute les figures divines qui manquent