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désormais au cortège de ses portails ; mais l’ensemble sera conservé malgré tout ; des pierres neuves remplaceront les claveaux écroulés de ses voûtes, on refera des os aux piliers étonnés par le canon ou éclatés par l’incendie, une charpente nouvelle sera substituée à l’antique forêt de ses combles, et la forme sublime, quoi qu’il en puisse coûter d’efforts et de millions, continuera de régner comme par le passé, blessée, mais immortelle, sur la ville du Sacre.

Mais ces édifices glorieux, ces colosses du moyen âge, ne sont pas ce que nos pères nous avaient laissé de plus précieux. On ne se ferait aucune idée du génie de la France, si on se figurait qu’il tient tout entier dans quelques monuments classés et officiels. On risquerait même de le méconnaître tout à fait, si on voulait l’enfermer dans ces ouvrages classiques, sans voir ce qu’ils résument d’essais ou représentent de rayonnement, par combien de tâtonnements ils furent préparés, en combien d’exemplaires ils se reflètent et se reproduisent. Ce sont les pousses les plus droites et les plus hautes du taillis ; une coupe qui éclaircirait les buissons autour d’elles, laisserait debout quelques arbres prodigieux, mais supprimerait la forêt.

Rien ne serait plus faux que d’imaginer les chefs-d’œuvre de l’architecture gothique sortis tout à coup, un beau jour, d’une pensée d’artiste, comme quelque théorème nait dans la tête d’un géomètre avec toutes ses conséquences. Des centaines d’ébauches ont précédé l’éclosion de la sublime formule. Les mailles de cette histoire se trouvaient dispersées dans nos églises de campagne. C’est là que se trouvait l’un des secrets de notre génie. Impossible de comprendre sans elles ce qui distingue l’histoire de France entre toutes les autres, à quel point cette histoire est un phénomène rural, combien elle tient à la terre, combien notre pensée nationale, comme la mission et les voix de la bergère de Domrémy, est la fille des champs et en garde le parfum.

Il y avait encore d’autres raisons qui rendaient délicieuses ces églises de villages. Elles étaient souvent bien moisies et bien délabrées ; leurs portails présentaient des sculptures édentées ; leurs murs humides étaient verdis de mousses ou rongés de salpêtres ; l’ortie et l’herbe folle foisonnaient autour de leurs absides, et mille graminées légères s’agitaient comme un duvet dans les interstices des vieilles pierres. Mais jamais la main