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froide et correcte du restaurateur n’était intervenue pour altérer l’ouvrage des siècles. Aucun architecte moderne n’avait fait subir ses ratures à ces beautés rustiques ; elles étaient là, telles que le sol et le hasard les avaient faites, avec leurs parties disparates, leurs croisillons gothiques s’ajoutant à une nef romane, faites en apparence de pièces et de morceaux, avec leurs âges divers, entre lesquels nul pédantisme ne s’était avisé de rétablir une artificielle unité. Mais en revanche ces pauvresses avaient reçu des ans cette patine et cette harmonie, que l’âge seul ménage aux choses patientes qui ont eu la sagesse de vieillir en beauté ; elles avaient reçu l’or des mousses et les caresses du ciel, et cette empreinte du temps qui achève ce qu’il touche, décore ce qu’il dégrade et collabore mystérieusement à ce qui a longtemps vécu : si bien que ces humbles églises semblaient partager l’existence des choses naturelles, l’éternité des pierres, la vie flottante des nuages qui leur versaient leurs ombres et la jeunesse des plantes qui fleurissaient leurs vieilles tuiles.

C’est avec un guide comme M. Moreau-Nélaton qu’il faisait bon parcourir ce trésor secret de nos vallées. Personne ne le connaît mieux que lui. Il ne vous mènera guère aux endroits fréquentés ; il évite les lieux communs de l’admiration, les beautés consacrées ; il ne s’arrêtera qu’un moment devant la cathédrale de Laon (laquelle par miracle n’a d’ailleurs pas souffert) ; il se tiendra loin de la fameuse collégiale de Braisne, et à la cathédrale de Soissons il préfère, — ou pour mieux dire, il préférait, hélas ! — sa réplique pittoresque et vermoulue de Mont-Notre-Dame. C’était le type du délabrement et de la grandeur ruineuse : magnifique débris arraché, comme un invalide, à la guerre de Cent ans et aux guerres de religion. Rien n’était plus beau que sa masse boiteuse au sommet de son rocher calcaire, terminant la pyramide agreste du village. Je me rappelle le vert-de-gris qui donnait à ses murs l’aspect de certaines faïences persanes. Guillaume II, qui la visita le 22 juillet 1918, se montra scandalisé de cette négligence. « Si j’étais le maître ici, s’écria cet homme impétueux, il y a longtemps que j’aurais fait restaurer cette merveille. » Le malheureux ! Six semaines plus tard, ses troupes se vengeaient de leur retraite forcée en faisant sauter la merveille à la mine. Le chef-d’œuvre vénérable n’est plus qu’un tas de décombres.

Mais il y a cent autres beautés à peine moins regrettables ;