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ces villages de Laffaux, de Vailly, de Beaurieux, de Chaudardes, dont le nom ne s’est ébruité que par les communiqués, combien de curieux se doutaient qu’il y avait là des merveilles ? Combien soupçonnent ce qui s’est perdu dans la ruine d’Urcel, et ce qui est mort avec le château de Pinon, ou avec le massacre de l’Abbaye de Prémontré ? Souvent, dans ces églises, il n’y avait qu’un détail, une rareté particulière qui les rendait précieuses : c’était un vieux vitrail, une fresque pâlie s’écaillant sur un mur, une armoire à reliques, une Vierge de pierre peinte, comme celle de Troësnes ou comme la merveille, aujourd’hui en poussière, qui enchantait la solitude de l’église de Coincy ; ou bien quelque Christ pathétique et douloureux du XVIe siècle, comme celui de Pont-Arcy, figure d’une résignation et d’une mélancolie divines. Qui pouvait se flatter de connaître la France, alors que de telles beautés demeuraient inconnues dans des églises de campagne ? Et c’était ailleurs un tombeau, quelque dalle funéraire, un tableau votif sur un autel, une grille de fer forgé, des lambris de chœur sculptés de bouquets de la Régence, un lutrin reposant sur ses volutes superbes, qui encadraient le médaillon du bon cordonnier saint Crépin.

Lorsqu’on feuillette ces images, en songeant que la plupart ne représentent plus que des ruines ; lorsqu’on entre dans le détail, que l’on fait l’inventaire des pertes que nous avons pris l’habitude de signaler sommairement sous le nom administratif de « régions dévastées ; » lorsqu’on pénètre dans ces églises béantes et dans ces sanctuaires écroulés, dans ces charniers de choses saintes, chaos d’ossements d’où l’âme qui les faisait vivre est partie, on éprouve l’horreur d’un viol et le chagrin d’un deuil de famille. Une harmonie est détruite, qui était l’ouvrage du sol et des générations, du ciel et de la terre ; c’était une grâce naturelle et surnaturelle à la fois, une figure de la patrie, un concert des vivants et des morts. Rien n’était plus touchant pour une âme française : ces églises de village, groupant autour de leur clocher l’amas des maisons basses et l’étendue des champs, exprimaient le rapport de la créature avec le monde éternel. Pour des millions d’hommes et de femmes de notre pays, elles étaient la seule forme sous laquelle il était permis de communiquer avec l’invisible et de percevoir la beauté. Pour l’étranger lui-même, leur perte est un appauvrissement. Un jeune Américain, qui connaît bien la