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repousser un écrivain. Par exemple, il accuse de « bêtise » les moralistes farouches qui ont accusé Baudelaire d’immoralité. Mais il est philosophe et il a une doctrine. Cette doctrine, la voici.

Premièrement, il faut agir. M. Jean Carrère ne se vante pas du tout de le dire avant d’autres ; mais il le dit avec un zèle persuasif. D’ailleurs, ainsi que les autres philosophes de l’activité, il néglige d’ajouter à son commandement l’indication de l’activité la meilleure : il nous laisse le soin de la bien choisir. Je rougirais de n’être pas de son avis ; l’ordre d’agir a très bon air. Et tout au plus voudrais-je insinuer qu’il ne me parait pas très utile, l’humanité ayant beaucoup d’entrain. Ce qui lui manque, le plus souvent, c’est une sage direction de cette activité qu’elle a si abondante. Et les prôneurs de l’énergie font quelquefois une besogne qui aurait besoin d’être corrigée par un seul, et matin, directeur de l’énergie. Je me souviens qu’à l’époque de ma jeunesse les professeurs de volonté abondaient. La volonté abondait aussi. L’on prétendait que les ravages du scepticisme étaient inquiétants : je ne m’en suis pas aperçu. Et, si l’on renonçait à considérer comme scepticisme un ensemble d’opinions que l’on n’approuve pas, on vérifierait que rien au monde n’est plus rare et singulier qu’un sceptique.

Moraliste de l’action, M. Jean Carrère dénigre assidûment le rêve... « Ah ! s’écrie-t-il, le rêve ! le rêve ! séducteur invisible, le plus subtil des démons qui nous entourent, le plus séduisant et le plus décevant à la fois, image, mirage et nuage, toutes les erreurs et toutes les défaillances, que de mal il fait à l’homme qu’il grise, que de vies humaines dont il a volé la moitié, que d’autres qu’il a englouties tout entières !... Ah ! le rêve, tueur de héros, dévorateur de génies, qui pourra dénombrer ses victimes ?... » Je ne les crois pas si nombreuses. La plupart des personnes que nous rencontrons, dans les différentes classes de la société, me semblent toutes dénuées de rêverie ou, du moins, beaucoup plus actives que rêveuses. Leur activité est futile, est désordonnée, mais non point à cause du rêve. Les nouveaux jeunes gens n’ont-ils pas l’esprit positif ? Je n’ai pas remarqué du tout qu’ils fussent nonchalants.

M. Jean Carrère l’a remarqué. Il dit que son propos est de rechercher, parmi les grands écrivains du siècle dernier, « ceux à qui les observateurs attentifs peuvent imputer l’état de trouble intellectuel, de lassitude morale et d’inquiétude publique dans lequel tant de jeunes hommes contemporains semblent à la fois se complaire et se lamenter. » Je me figurais nos jeunes gens prompts à la certitude, et