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n’eut rien de plus pressé que de venir manger à Paris les cent mille francs comme on les mange dans Balzac. » La grande fête, et une orgie comme dans la Peau de chagrin : « la peau de chagrin, c’est-à-dire les cent mille francs, avait duré six mois juste. » Il y eut probablement d’autres Philoxène Boyer, qui abusèrent de la leçon balzacienne. Mais, dire que tous les « arrivistes » d à présent sont enfants de Balzac, non, véritablement non.

M. Jean Carrère, à l’appui de son opinion, cite un passage de l’introduction que M. Paul Bourget donna, en 1887, au Répertoire de la Comédie humaine d’Anatole Cerfberr et Jules Christophe : « On a remarqué que les hommes de Balzac, tant dans la littérature que dans la vie, sont apparus surtout après la mort du romancier. Balzac semble avoir moins observé la société de son époque qu’il n’a contribué à en former une. » Et M. Jean Carrère de s’écrier : « Rien n’est plus vrai, et rien n’est plus terrible aussi pour la responsabilité du grand poète... En formulant la phrase que je viens de citer, M. Bourget a prononcé sur Balzac le plus accablant des réquisitoires. » Non ; et, si l’on veut s’en rapporter à l’opinion de M. Paul Bourget sur Balzac, il ne suffit pas de citer quatre lignes et qui datent de trente-cinq ans ; il faut se reporter à un chapitre du volume intitulé : Sociologie et littérature. « La politique de Balzac. » On y verra que M. Paul Bourget reconnaît à l’auteur de la Comédie humaine le titre que celui-ci réclamait de véritable « docteur ès sciences sociales. » M. Paul Bourget compare l’auteur de ladite Comédie humaine à un médecin, qui ne se contente pas d’examiner la maladie, de la décrire et de formuler un diagnostic ; mais il indique le remède. Et le remède, c’est la politique et c’est la sociologie de Balzac. Lequel Balzac disait que, si la France ne changeait pas de maximes, telles et telles seraient les conséquences de son erreur : il ne s’est pas trompé. Lequel Balzac disait aussi que, si la France, informée de son erreur, adoptait d’autres maximes, tout irait bien : la France n’a pas suivi le conseil de Balzac. Il est arrivé ce que prévoyait Balzac. De sorte que la société contemporaine serait conforme à la prévision de Balzac, non pas du tout à son apostolat. De sorte qu’il y aurait de l’injustice à rendre Balzac responsable de ce qu’il a redouté, de ce qu’il a déconseillé, de ce qu’il aurait voulu combattre et empêcher.

Qu’importe ? répondra M. Jean Carrère : si l’apostolat de Balzac est resté sans effet, sans influence, laissons-le ; tandis que, si l’attrait dont il a muni ses héros fait d’un Rastignac ou d’un Rubempré, l’un qui réussit à merveille, l’autre qui est charmant, des exemples qu’on