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Saint-Bernard chaque fois qu’il le pouvait, méditait au roc de Chère sur le beau reposoir où le disciple de Marc-Aurèle dort son dernier sommeil ; à Paris, il fréquentait assidûment le salon de la rue Hamelin où Mme Taine, toujours affable et curieuse de toutes les manifestations de la vie intellectuelle, recevait avec sa fille. Mme Taine survécut douze ans à son mari. On se souvient avec quelle dignité elle se consacra à la mémoire et à l’œuvre de l’écrivain disparu, avec quelle générosité elle prêta son concours à la Croix-Rouge française, à l’œuvre de la Presse pour tous qu’elle fonda, aux bibliothèques populaires qu’elle développa. « Jamais veuve, écrivit mon père en rendant hommage à cette femme d’élite, ne se montra meilleure et plus intelligente gardienne d’une gloire. Depuis treize ans elle parachevait l’œuvre où sa collaboration discrète s’était déjà fait sentir, alors que l’écrivain tenait encore la plume. Elle excella dans un devoir délicat, trop souvent funeste aux grandes mémoires trahies par un zèle maladroit. Nous lui devons la publication des dernières Notes de voyage, l’édition populaire des Origines, avec l’Index qui en facilite la lecture ; et enfin cette Correspondance dont elle laisse le quatrième volume en préparation. On ne saurait assez louer la maîtrise qui se révèle dans la présentation de la Correspondance, les sobres commentaires du texte, les notices biographiques qui suppléent aux lacunes des lettres : fermeté du jugement, savoir étendu, tact littéraire et mondain, toutes les qualités requises pour ces tâches difficiles sont réunies dans le travail de Mme Taine et en font un modèle du genre [1] ». Mme L. Paul-Dubois, pieusement associée au travail de sa mère, l’a achevé en nous donnant le tome IV de la Correspondance et Etienne Mayran [2].

Mme Taine et sa fille reposent au roc de Chère près du maître de l’Intelligence. L’an dernier, par une belle journée de septembre, je me suis agenouillé sur ces tombes gardiennes de grands et chers souvenirs, j’ai relu l’épitaphe latine qui rappelle aux pèlerins dans quel esprit constant et droit, uniquement amoureux de la vérité, le philosophe interrogeait la nature et l’histoire : « Causas rerum altissimas — candide et constanti animo — in philosophia, historia, litteris — perscrutatus — veritatem unice dilexit. »


RAYMOND DE VOGÜÉ.

  1. Voyez le Journal des Débats du 22 juillet 1905.
  2. Voyez l’article d’E.-M. de Vogué intitulé : Les Lettres de Taine, dans le recueil Sous l’Horizon, 1 vol. in-18, A. Colin ; et l’article sur le tome IV de la Correspondance de Taine, dans les Routes, 1 vol. in-16, Bloud.