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pour moi, il n’y a heureusement pas lieu de faire appel à vos bons offices avant l’heure du vote.

J’espère que les vacances vous ont été favorables, que vous êtes content de votre santé et de votre travail. Votre volume avance-t-il ? Tous les miens sont revenus en parfaite santé. Les longues journées du chemin de fer entre Kharkof et Paris m’ont paru courtes, car j’ai employé ce temps à relire l’histoire de Macaulay, dont je n’avais qu’un souvenir trop lointain. Dieu ! que c’est fort et substantiel ! Comme on sent là, à chaque ligne, la sécurité tranquille du génie anglais ! Le récit avance avec la confiance d’un de leurs vaisseaux de haut bord, qui se sent fait en bonnes planches de chêne et ne doute pas un instant de sa royauté sur la création. Je ne crois pas qu’il y ait un meilleur livre à recommander à ses enfants, dans notre époque d’anémie et de titubation intellectuelles ; il faudrait leur faire lire cela comme on fait prendre du fer en pilules [1].

Nous nous mettons à deux pour nous rappeler au souvenir de Mme Taine et de Mlle Geneviève ; et je vous serre la main, cher monsieur, en vous priant de croire à mon affectueux dévouement.


A Mademoiselle Taine.


1er juin 1891.

Mademoiselle,

Je sais que votre départ est retardé, et j’aurai sûrement l’honneur de vous revoir ; mais, sous l’impression profonde de la lecture que je viens de faire, je veux vous féliciter de porter le nom qui a signé ces pages [2]. Je ne crois pas que, depuis Montesquieu, un cerveau français ait assemblé autant d’idées et aussi bien déduit les conséquences de ces idées : je crois qu’aucun cerveau français, en aucun temps, n’a donné un effort aussi puissant, aussi ramassé, avec moins de perte dans la transformation de cette force en lumière concentrée sur un

  1. Voyez la réponse de Taine à cette lettre dans le tome IV : H. Taine, sa vie et sa correspondance, 1 vol. in-16 ; Hachette. Nous extrayons de cette réponse le jugement de l’auteur de la Littérature anglaise sur Macaulay :... « Vous avez bien raison de relire et d’aimer Macaulay ; c’est la tête la plus saine et le cœur le plus sain ; et pour l’art, le style, il n’a pas son égal en Europe. En Angleterre, on le goûte moins qu’autrefois ; tant pis pour le public anglais ! »
  2. A propos d’un article de Taine sur « l’Église » dans la Revue du 1er juin 1891. Cet article est devenu le 3e chapitre du livre V du Régime Moderne dans les Origines de la France contemporaine.