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Absorbé par l’effort intense que chaque minute réclamait, j’ai été séparé de tout ce qui fait ma vie habituelle. Ma femme me communique vos lettres et me charge de ses commissions affectueuses. Agréez, madame, l’expression de mon fidèle attachement pour vous et votre fille.


A Mademoiselle Taine.


Mardi matin, 6 mars 1894.

Mademoiselle,

Nous avons bien pensé à vous deux hier[1]. Je vous remercie d’avoir trouvé une pensée pour vos amis, vous aussi ; je vous remercie de m’avoir envoyé ces petites gardiennes du souvenir. Elles arrivent à leur heure. Je me rends de ce pas à la Chambre, pour une bataille qu’on annonce assez dure et où toutes les hostilités conjurées contre moi ont été réchauffées et excitées par une haine experte. Il est bon que la pensée d’un ami et d’un sage vienne me ressaisir à cet instant ; elle va m’être présente et me fortifier dans l’indifférence pour les injures vaines, stupides ou misérables qui pleuvront tout à l’heure sur moi [2].

Nos plus affectueux sentiments vont à votre mère et à vous, mademoiselle.


A Madame L. Paul-Dubois, née Geneviève Taine.


Paris, 27 juillet 1S96.

Chère madame.

Comme c’est bon et gentil à vous de vous souvenir d’abord qu’il existe des Celtes à l’extrémité de l’Europe, et puis de leur écrire comme si vous n’aviez rien de mieux à faire, du fond de votre fjord, et enfin d’envoyer à l’un d’eux le portrait du grand constructeur de symboles [3]. Hélas ! je l’attends avec moins d’impatience,

  1. Le 5 mars était le jour anniversaire de la mort de H. Taine.
  2. La Chambre valida le 6 mars 1894 l’élection du député de l’Ardèche ; depuis plusieurs mois, ses adversaires politiques avaient cherché à faire rouvrir les urnes dans la 2e circonscription de Tournon.
  3. Mme L. Paul-Dubois, au cours d’un voyage en Norvège, avait vu, à Christiania, Ibsen, — que les mauvaises langues, parmi les Scandinaves, accusaient de cultiver la dive bouteille. — Au cours d’une conversation avec l’auteur de Maison de Poupée, elle lui avait demandé ce qu’il pensait de l’interprétation de ses drames sur les scènes parisiennes : il avait répondu, en hochant philosophiquement sa tête blanche ébouriffée, que chacun était libre d’interpréter ces drames à sa guise, et que les acteurs français étaient assez intelligents pour s’en tirer tout seuls. D’où l’on pouvait conclure que l’interprétation parisienne de ses œuvres le laissait assez indifférent, et qu’il n’avait cure de sa gloire sur nos planches.