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après l’horrible chose que vous dites. Laissez-moi croire que vous aussi vous êtes gagnée par le symbolisme ; et que vous avez voulu parler de l’ivresse sacrée de l’inspiration... Sauf ce malheureux détail, Ibsen grandissait pour moi de toute sa douce ironie à l’endroit de ses admirateurs parisiens.

Ma femme a reçu votre lettre au moment de monter en wagon avec toute sa couvée. Vous saurez un jour, je le souhaite puisqu’il le faut souhaiter, quel apprentissage de l’enfer est un voyage avec quatre diables surexcités par l’entrée en vacances.

Ils s’espacent à cette heure en Ardèche, avec leur mère, assez bien remontée par Vichy. Je reste seul jusqu’au 1er août, dans cette ville torride, empuantie, déserte, où il n’y a plus que des morts. J’en sais un, un vieillard de mes proches relations qui attend depuis huit jours sous la garde des domestiques, dans la chambre où il décéda, l’arrivée de petits-cousins qui ne se décident pas à quitter la campagne pour le venir enterrer. Et il laisse pourtant cent mille livres de rentes. Demain, nous aurons pour nous distraire les obsèques civiles et nationales du bon Spuller. Si l’on m’eût prédit que celui-là s’en irait reposer aux frais de l’Etat ! Caliban ajouterait qu’il est le seul, et fort heureux par la chaleur qui nous terrasse, à reposer au frais.

Je pense que vous vous devez à vous-même de vous faire sauveter par l’empereur Guillaume, dès lors qu’il rôde dans les fjords à la pêche des naufragés français [1]. Ce serait l’épisode intéressant de votre voyage, et si vous me le vouliez conter, ça me donnerait de la jolie copie pour nos feuilles. Allons, un peu de courage, et à l’eau, pour le plaisir d’une interview avec ce personnage mystique et mystérieux. Déroulède préférerait que vous vous noyassiez, mais j’arrangerai la chose, s’il vous reproche de devoir la vie à l’Empereur allemand. On nous promet en septembre celui de toutes les Russies, si nous sommes bien sages, et si nous donnons gentiment un nouveau milliard.

Je n’ai pas de nouvelles directes de Boringe : j’en irai chercher vers la mi-août, quand vous y serez. J’ai vu Mme Paul-Dubois, en allant prendre ma part de la satisfaction publique que je réclamais l’an dernier, et qu’on nous a enfin accordée,

  1. Un paquebot de touristes français. le Chanzy, ayant subi un grave accident dans un fjord norvégien, Guillaume II, qui se trouvait dans le voisinage sur son yacht le Hohenzollern, avait fait donner secours au bateau désemparé.