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plu, et déplu indirectement par le retour humiliant qu’il me forçait de faire sur nous-mêmes : entre tant de femmes qui écrivent aujourd’hui dans notre vieille France, je n’en vois pas une qui ait, au même degré que cette Américaine, le sens des nuances, de la vie mondaine, des vraies élégances sociales, et surtout des délicatesses morales que la fille du Nouveau-Monde met délibérément au-dessus de ces élégances extérieures.

Il est un autre roman que j’attends avec impatience : celui de M. Taine [1]...


A la même.


Paquebot le Tourane, 19 janvier 1909.

Chère madame,

Je m’étais bien promis de vous écrire avant de quitter la France : cette première quinzaine de janvier ne m’a pas laissé une heure de liberté dans l’engrenage du travail et des obligations parisiennes ; j’ai dû remettre ma correspondance aux loisirs de la traversée, sur le bateau qui m’emporte en Egypte.

Je viens de traverser le détroit de Messine. Il semble que la Nature s’acharne avec férocité sur la pauvre Sicile ; elle était couverte de neige ce matin, jusqu’au bas des montagnes ; un froid sibérien nous gelait les mains, tandis que nous braquions la lorgnette sur les amas de ruines. Pas d’autre signe de vie que le mouvement des torpilleurs italiens, peints en noir, qui se hâtaient comme des ombres funèbres le long de ces rivages dévastés.

Je reviendrai en mars pour nos innombrables élections académiques. On les a couplées deux à deux,


Comme s’en vont les vers classiques et les bœufs.


Cela ne les rend pas plus aisées. Le sentiment commun est que nous n’aboutirons pas dans l’élection de poète qui devrait donner un successeur à Coppée [2] ; j’ai expliqué pourquoi dans un article au Figaro, la semaine dernière : notre conscience nous crie que les poètes mâles sont aujourd’hui de chétifs

  1. Etienne Mayran, fragment de roman, par H. Taine, publié dans la Revue des 15 mars et 1er avril 1909, avec une préface de M. Paul Bourget.
  2. Jean Aicard fut élu sur le fauteuil de François Coppée.