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DANS
LA CHINE D’AUJOURD’HUI
(JUIN-DÉCEMBRE 1920)

I
PÉKIN

De tous les imprévus dont se compose un lointain voyage, aucun n’est si surprenant que celui de la première arrivée. Tant que le voyageur était en chemin, à travers l’Amérique ou le Pacifique, il calculait seulement le jour où il parviendrait à Pékin, et n’en demandait pas davantage. Mais l’y voici, et la simplicité d’un nom cède à la multiplicité des choses. Un monde inconnu l’entoure, sans qu’il sache comment lui répondre, ni le soutenir. Dans l’auto qui l’emporte, les premiers signes qui lui sont jetés, ce sont des arbres gris pleins de houppes vieux-rose, des murs d’un rouge un peu orangé courant le long de l’avenue, des toits aux superbes tuiles jaunes portant en triomphe la lumière d’un matin de juin. Arriver, c’est gagner un monde, mais c’est aussi risquer d’en perdre un, celui qu’à force d’étude, de lectures et de songeries, on s’était formé en soi-même et qui a le caractère à la fois fragile et achevé des créations intérieures. Mais cette menace même, pour un vrai voyageur, ne va pas sans un plaisir aigu. C’est un moment unique que celui où tous les rêves que nous nous étions faits sur le nom d’une contrée fameuse tourbillonnent indécis au-dessus d’elle, alors qu’elle se dévoile à nous ; les uns, comme des pigeons qu’un toit rassemble, trouvent dans cette réalité nouvelle quelque point où se poser,