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pas plus que les gens. Quelle différence avec le déballage charmant qui remplit les rues japonaises ! Ici rien ne s’offre avec évidence. Rien ne donne prise à une observation facile, rien ne fait saillie, rien n’invite l’étranger. Seuls, sur les murs ou les toiles des boutiques, au-dessus des têtes, apparaissent de grands caractères, si imposants qu’ils ont l’air encore revêtus d’une autorité magique. Tout est sourd, fixé, concentré. Dès les premiers regards, le voyageur est averti qu’il est dans un pays dont l’âme ne s’étale pas, dont le secret est profondément réservé, dans la Chine difficile.

Soudain, j’ai été surpris par un aspect impérial. L’auto avait franchi des portiques rouges, elle s’engageait sur un pont de marbre où je l’arrêtai. Un mur qui divise ce pont dans toute sa longueur bornait à droite ma vue ; mais, à gauche, j’apercevais toute une campagne captive ; une vaste plantation de lotus, si pressés qu’ils laissaient à peine voir les luisants de l’eau qui les nourrissait, s’étendait jusqu’à des rives où s’élevaient quelques pavillons aux toits infléchis, penchés et incertains comme des baraques ; devant moi, au bout du pont, un groupe de constructions mieux affermies, que trempait la lumière orangée du soir, se montrait à demi entre des arbres flétris. Un autre pont de marbre s’élançait plus loin, jusqu’à une presqu’ile boisée au sommet de laquelle surgissait, blanchâtre, pareil à un vase au long goulot, un de ces monuments bouddhiques qu’on appelle des stupa et où sont murées des reliques du Bouddha. Tout cela était grandiose sans être apprêté ; il flottait même sur ces choses un air de paresse et de négligence. Dans le ciel que la chaleur laissait aigri et presque tourné, un vol de corbeaux descendait, criblé, comme d’une grenaille de fer, d’un vol plus menu d’hirondelles. Reportant mes regards plus près, j’admirai les puissants lotus. Ils allaient bientôt fleurir. Déjà près du pont, une première corolle était ouverte, grave, immobile, épanouie, et une des grandes feuilles ondulées l’abritait, comme une main protège une lampe.


LE TEMPLE DU CIEL

Dès le lendemain matin, avide de saisir l’âme de ce nouveau monde en un lieu qui la rassemble, je suis allé au Temple du Ciel. C’est là, comme on sait, que, jusqu’à la fin de la monarchie,