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qui se pressent dans la ville interdite ont la même orientation rigoureuse : ils s’opposent, ils se répondent. Leurs formes grandes et simples leur gardent un air agricole et leurs glorieux toits jaunes, éclatants comme des moissons, semblent exalter en plein ciel la fécondité du sol de l’Empire. Ils ne défient point le temps par des matériaux orgueilleux, ils ne lui disputent pas leurs piliers de bois, leurs tuiles de terre, mais ils déçoivent sa victoire en remplaçant chaque fois ce qu’il a détruit, et, dédaigneux des jours qui les rongent, ils durent par la perpétuité de leur esprit, non par celle de leur matière.

Cette cité impériale est seule debout ; autour d’elle rien ne se permet de surgir : on ne voit qu’une multitude de toits abaissés, une ville prosternée ; mais ce néant est encore en ordre : les quartiers sont parqués entre les rues droites, et la moindre maison envisage, elle aussi, de ses murs infimes, les quatre points cardinaux que l’enceinte et les palais contemplent de leurs façades augustes. L’ordre qui règne ici ne ressemble en rien à l’ordre grec : immuable, abstrait, solennel, au lieu d’inciter l’homme et de le porter en avant, il le fixe, il le contient, il l’efface.


LA GUERRE CIVILE

Un monde entamé : telle est, dans les rues de Pékin, la première impression du voyageur ; elle se confirme à mesure qu’il voit plus de choses. J’ai eu la très bonne fortune d’arriver ici avec M. Paul Painlevé, et grâce à son très bon vouloir et à la courtoisie particulière du Gouvernement chinois, j’ai été associé à l’accueil qu’a reçu la mission dont il est le chef. Presque tous les Chinois, dans les réceptions officielles, portent maintenant le costume européen, les plus âgés avec gaucherie, les jeunes non sans élégance. Parfois on aperçoit à l’écart une antique figure, un vieillard au crâne ras, qui n’a pas répudié la mode de son pays et qui demeure assis, impassible, les deux mains sur les genoux, avec de grandes besicles qui encadrent ses deux yeux, et quelques fils de barbe blanche. Le jour où nous eûmes l’honneur d’être reçus par le Président de la République, il était vêtu d’une veste de soie noire, d’une jupe de soie gris d’argent, qui, par ses deux fentes latérales, laissait voir le pantalon serré aux chevilles. C’est le costume chinois ordinaire, un des plus