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avec lui des cadeaux dans les grandes occasions de l’année ; il lui a, dit-on, donné dernièrement une carte du monde, où chaque capitale était représentée par une pierre précieuse.

Aux réceptions officielles ne paraissent que des hommes. Les Chinois vivent encore à la façon des Anciens et ne mêlent pas leurs femmes à leurs réunions. Mais je doute que cette séparation subsiste longtemps. Ceux qui ont occupé des places importantes hors de leur pays ont emmené leurs femmes avec eux et celles-ci se sont faites à nos mœurs et à nos plaisirs avec une rapidité incroyable. J’étais, un de ces derniers soirs, dans un jardin public de Pékin, où l’on va dîner et se reposer après la chaleur du jour. Les branches des arbres pendaient dans l’air fatigué. Un jeune homme et une jeune femme s’enfonçaient ensemble dans une allée obscure, et cela même valait d’être remarqués car la pruderie chinoise, jusqu’à ces derniers temps, ne permettait pas ces isolements. Mais un autre spectacle attira mon attention. A une table éclairée, une de ces jeunes femmes récemment revenues d’Europe, habillée à la dernière mode de chez nous, traitait plusieurs dames des premières familles de Pékin. Celles-ci étaient uniformément vêtues d’une veste blanche et d’une jupe noire, sans chapeau, leurs cheveux tirés et lissés. L’élégante parlait avec volubilité, les autres écoutaient, d’un air à la fois effarouché et émerveillé, pressées l’une contre l’autre, et parfois un même rire les ramassait toutes et rendait plus sensible encore la cohésion de leur groupe. Que leur racontait la discoureuse ? Leur décrivait-elle à sa façon les mœurs des Parisiennes ? Les excitait-elle à s’émanciper et à ne pas souffrir que leurs maris prissent des concubines ? J’ai appris ensuite qu’il y avait, en effet, dans ses propos, quelque chose de cela, et que, dans cette chaude nuit, sous les branches inertes, la civilisation chinoise avait subi un nouvel assaut. Tout change en ce moment dans le monde.

Tout change, et c’est même l’importance de ce changement, étendu pour la première fois à l’humanité tout entière, qui donne à notre époque son principal caractère. Depuis que les empires des Aztèques et des Incas s’étaient écroulés, la civilisation chinoise gardait seule le prestige d’un développement indépendant. Ses lois, ses mœurs s’opposaient aux nôtres. Il n’était pas jusqu’à la palissade des caractères qui ne défendit son âme imprenable. Mais difficile à comprendra, cette société, naguère