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les généraux du parti adverse. On dit que les deux armées se sont déjà rencontrées. C’est le moment de la plus forte chaleur, et la fatigue qu’elle impose aux nerfs ajoute encore au malaise. Les étrangers s’interrogent mutuellement, et l’on ne sent jamais mieux qu’en de pareilles occasions que leur curiosité éraille à peine la surface d’un monde dont les mouvements profonds leur échappent. Certains veulent à tout prix distribuer des drapeaux d’idées dans ces rivalités d’intérêts. La seule chose qui colore un peu la lutte, c’est que le Japon soutient le parti régnant à Pékin : encore ne faut-il pas oublier que, quel que soit le vainqueur, il tombera presque fatalement, dès qu’il voudra s’affermir, sous l’influence japonaise. Pour le reste, les figures des différents généraux ont peu de couleur : elles ne sortent pas de l’immense grisaille chinoise. Un d’eux, opposé à la faction de Pékin, s’essaye au rôle de soldat-citoyen, et rallie à ce titre quelques admirateurs crédules. Un autre, parmi les partisans du Japon, le plus décrié, convaincu d’avoir naguère abattu à coups de revolver, après l’avoir attiré par une invitation à diner, un de ses adversaires, est aussi celui qu’on représente comme le seul travailleur, le seul caractère décidé engagé dans ces intrigues. En vérité, ces désordres sont liés à un état général qui doit les produire et les ramener bien des fois, et les étrangers qui attendent naïvement que cette crise ait un effet décisif ressemblent à des spectateurs des tragédies classiques, qui viendraient chercher, dans les représentations interminables du théâtre chinois, une exposition, une péripétie et un dénouement. Cependant Pékin a peur.

Pékin a peur et cela ne se voit qu’à peine au frémissement de certains visages jaunes. Mais, devant l’hôtel français construit en face des légations, c’est un va-et-vient d’autos incessant. La plupart des hommes politiques qui font retenir des chambres dans cet endroit sûr, pour s’y réfugier en cas de danger, sont les mêmes qui demandaient, il y a quelques jours encore, la suppression du privilège d’extra-territorialité. Pour le moment, tous les Chinois cherchent à profiter de son existence. Les boutiques sont mornes et dégarnies, les marchands ne font plus d’affaires, on dirait d’un peuple d’insectes avant l’orage. Mais, dans les rues qui mènent au quartier des légations, coule une affluence continue de véhicules, chargés de paniers, de ballots, de caisses. Chacun vient abriter chez les étrangers ce qu’il a de plus précieux. Cependant les soldats recrutent des coolies de