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force, requièrent les charrettes des paysans, comme cela pouvait se faire à l’époque des Trois-Royaumes, et il y a dans ces troubles mêmes, au milieu des vaines apparences empruntées à l’Occident, une sincérité historique qui plait à l’esprit. Mais, comme ces vexations menacent tous les passants, chaque Chinois, pour peu qu’il y ait le moindre droit, se couvre d’un pavillon étranger. J’en ai vu un qui s’en allait ainsi sur une bicyclette où il avait attaché un drapeau japonais : ce n’est certes pas le plus aimé, mais ce n’est pas le moins respecté.

Après diner, quand la chaleur est un peu moins lourde, nous parcourons la ville silencieuse, ou nous allons dans les gares. Les communications ordinaires sont interrompues et, pour que Pékin ne restât pas isolé du monde, le corps diplomatique, conformément au traité qui suivit le soulèvement des Boxeurs, a pu obtenir qu’on mît en marche, tous les matins, un train pour Tien-Tsin, gardé par les soldats des légations. Le reste du temps, il ne part ou n’arrive que des troupes chinoises ; il est déjà revenu des blessés, et ces départs, ces arrivées, donnent lieu à des scènes brusques, saccadées, incohérentes, qui se détachent sur un fond d’apathie et de somnolence. Le plus souvent, la nuit, nous trouvons les gares vides ; un officier y traîne d’un pas mou, des coolies dorment insensiblement, le corps cassé sur l’asphalte dur, sur des tas de planches. Parfois arrive devant la gare une troupe qui va embarquer. Les soldats se rassemblent sur la place, sans mettre dans leurs mouvements aucune rigueur militaire, mais plutôt avec un désordre adroit où ils finissent par se retrouver ; ils ont bien moins l’air de soldats que de jeunes serviteurs lestes et discrets. Pas un qui n’ait son éventail passé dans la ceinture. Soudain ils s’accroupissent, ce qui est ici la posture du repos, et un vieil officier imberbe, étendant les mains, commence un discours, d’une voix trop basse pour qu’on puisse entendre. Dès qu’il a fini, les hommes se dispersent avec le plaisir enfantin qu’ont les soldats de tous les pays à être un instant lâchés. Ils vont acheter des gâteaux, des cigarettes, un gobelet aux petits marchands qui les attendent. Ils sont très jeunes ; ce sont, pour la plupart, des fils de paysans, — presque jamais l’aîné ni le second, — que la misère a forcés à s’enrôler. Ils touchent quatre dollars par mois, si on les leur donne, et ont, en fait, une grande commodité à déserter impunément lorsqu’ils sont las du service. On me dit qu’ils manquent