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d’entrain et de mordant. Ne nous en plaignons pas. Pour moi, j’ai été surtout frappé de leur air de docilité. Ils m'ont fait l’effet d’une glaise qui attend encore son sculpteur.

Cette nuit, comme nous revenons et que l’auto suit une de ces longues avenues qui coupent la ville, je vois, au haut d’une longue perche, un fanal allumé ; cela désigne des bains publics, et mon compagnon me propose de me les faire voir. Je me récrie, il est minuit. Il m’assure que nous serons reçus tout de même. Nous entrons et, dans la lumière douteuse, j’aperçois autour de la grande salle des garçons de bains endormis, allongés sur le dos, tout nus, un éventail entre leurs doigts, leur peau glabre et satinée lustrée d’un peu de moiteur. Réveillés par les intrus que nous sommes, leur visage ne montre pas d’humeur ni de surprise. Mon compagnon leur parle, et il doit faire quelque plaisanterie, car je les vois rire : ils nous montrent de bonne grâce les piscines communes, les chambres séparées, les étuves, puis nous reconduisent avec des hochements de tête et des sourires. Revenus dehors, nous voulons aller jusqu’à la maison de Toan-Si-Joué. C’est le vieux maréchal commandant des forces militaires du parti qui domine pour le moment à Pékin. Il est mêlé depuis longtemps à la politique, et il est entouré d’un grand respect, car beaucoup de généraux, même parmi ceux qui combattent présentement contre lui, ont été ses élèves, et ce genre de relations, en Chine, est ce qui compte le plus ; il sait à l’occasion tourner quelques vers ; on le dit très adonné à l’opium, et on a pu le voir, plusieurs fois, ces jours-ci, passer sur le quai d’une gare jusqu’à son wagon, l’air insensible, respectueusement soutenu par deux officiers. Au moment où l’auto tourne, pour entrer dans la rue où il habite, un cordon de soldats nous arrête : on ne passe pas.


Les nouvelles de la guerre civile deviennent plus claires : il parait que les troupes de Toan ont eu l’avantage, et aussitôt il ne manque pas d’experts, parmi les étrangers, pour dire qu’il n’en pouvait être autrement, pour plusieurs raisons, dont la première est que le parti victorieux avait l’appui des Japonais. Sur ces entrefaites, nous sommes invités, le Français très distingué dont je suis l’hôte et moi-même, à diner le soir dans un des temples de la montagne, aux environs de Pékin. Ces temples