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sont le seul agrément de cette campagne ; sur les pentes nues et brûlées, ils rassemblent encore quelques arbres et les étrangers, l’été, les louent aux prêtres qui les habitent, pour y passer les semaines les plus chaudes. Nous parlons à la fin de l’après-midi : on ferme chaque soir les portes de la ville, mais nous sommes munis de toutes les autorisations nécessaires pour nous les faire ouvrir la nuit à notre retour. Nous sommes contents de nous échapper pour quelques heures. Après avoir traversé la plaine, nous laissons l’auto au bas d’un ravin et nous montons à pied vers le temple de Pi-yun-sse. Un eunuque riche et bien en cour le fit bâtir vers la fin des Ming, pour y mettre son tombeau. L’endroit est joli et d’un charme étroit ; des cours successives enferment des arbres fleuris, des pavillons délabrés, aux toits desquels la ruine donne des lignes houleuses, et on a le plaisir, si rare en Chine, d’entendre ce bruit de l’étranglement frais et doux que fait une source. Plus haut, un grand portique arrête les yeux et derrière lui, le dominant, surgit une masse de marbre blanc, avec son haut escalier, sa plate-forme portant cinq stupas sculptés, derrière laquelle il n’y a plus que le tertre boisé où se dérobe la tombe.

Quand nous parvenons au temple, la nuit est faite et la dernière pâleur du jour semble réfugiée dans la grande masse du marbre. Sur la terrasse, la table servie nous attend avec ses deux lumières que presse doucement l’ombre tranquille. Au loin, quelques points brillants signalent Pékin. Mais à peine jouissons-nous de cette douceur qu’on vient chercher mon compagnon. Appelé au téléphone qui aboutit près d’ici, au dispensaire fondé par le médecin français dont nous sommes ce soir les hôtes, il reparait bientôt avec des nouvelles : tout est changé, les troupes de Toan ont été battues, elles vont se répandre en fuyards et en pillards jusque sous les murs de la ville. Celle-ci, pour ne pas les laisser entrer, ne rouvrira plus ses portes. On nous presse de revenir sur l’heure. Mais il fait trop bon pour que nous ne dînions pas d’abord. Ce n’est qu’ensuite que nous redescendons vers les autos. Nous traversons un hameau où frémit à peine une vie furtive. Si les pillards arrivent, les pauvres paysans qui sont là blottis souffriront beaucoup. Mais des pas courent derrière nous : c’est le petit magistrat du lieu qui nous aborde avec mille politesses, s’incline, serre les poings sur sa poitrine, nous conjure de ne pas nous