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De temps en temps, un auto fuit à toute vitesse. Enfin, une trompette jette un long cri. Alors commencent à défiler pèle-mêle de petits chariots chargés de bagages, des charrettes, toute une cohue que fendent des autos, portant parfois jusqu’à quatre officiers debout sur chacun de leurs marchepieds, de sorte qu’on peut à peine apercevoir, dans le fond, un général gras et bouffi, avec ses décorations et sa fleur de papier sur la poitrine. Soudain, lancés comme une poignée de cailloux, quelques cavaliers passent au galop, les uns montant leurs petits chevaux avec une aisance qui rappelle les Mongols des vieilles peintures, les autres, au contraire, inquiets et ballottés sur les leurs. Un gros officier, vacillant comme un sac, accroche fortuitement mes regards : ils sont passés et je n’ai pas vu Tchang-So-Lin, qui était pourtant dans la troupe. Telle a été l’entrée à Pékin de l’homme qui y est le maître.

Maintenant s’avance une compagnie de fantassins, annoncés par des clairons plaintifs et par deux grands étendards rouges, où éclatent en blanc les caractères qui composent le nom du chef. Les deux premiers rangs portent haut des hallebardes d’honneur, parées de houppes rouges. Au dernier rang marchent des mitrailleurs avec leurs engins, et ce n’est jamais sans un étrange malaise qu’on voit nos armes entre ces mains étrangères. Ils défilent d’un pas mou, avec leur visage impersonnel, leur air somnolent, comme traînés par la sonnerie de leurs clairons malheureux.

Le soir, le vieux Toan, vaincu qu’on respecte, a galamment envoyé tout un repas à son rival triomphant : les vieilles manières subsistent encore.


DANS LA FOULE

Le peuple, cependant, que pense-t-il ? se borne-t-il à subir ces changements avec la seule espérance de ne pas trop en pâtir ? Prend-il parti dans ces luttes ? Ces jours-ci, beaucoup ont pavoisé, mais un peu, semble-t-il, comme des gens qui craindraient d’être molestés et qui se dépêcheraient d’avertir qu’il leur est arrivé quelque chose d’heureux, de peur qu’on ne leur prouvât le contraire.

Sortons, plongeons-nous dans ce peuple. Un véritable observateur ne dédaigne jamais ce qui est offert à tous. Dans cette