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Durant plusieurs jours, les fêtes continuèrent. Le 26, tous les spectacles de la capitale furent ouverts à la Garde. On avait réservé pour elle le parterre, l’orchestre et les premières loges, ainsi que les premiers rangs des autres. Je fus du nombre de ceux qui furent désignés pour le grand Opéra. On joua le Triomphe de Trajan, pièce de circonstance et pleine d’allusions à la campagne qui venait de se terminer. La beauté du sujet, les brillantes décorations, la pompe des costumes et le gracieux des danses et du ballet, m’enivrèrent de plaisir. Quand Trajan parut sur la scène, dans son char de triomphe, attelé de quatre chevaux blancs, on jeta du centre du théâtre des milliers de couronnes de laurier dont tous les spectateurs se couronnèrent comme des Césars : ce fut une belle soirée et un beau spectacle.

Le 28, le Sénat conservateur nous donna, ou voulut nous donner, une superbe et brillante fête. Tout était disposé pour qu’elle fût belle et digne du grand Corps qui l’offrait, mais malheureusement, le mauvais temps la rendit fort triste, et même désagréable. On avait élevé un temple à la Gloire où toutes les victoires de la Grande Armée étaient rappelées sur des boucliers, entourés de couronnes de laurier et entremêlés de trophées militaires qui réunissaient les armes des peuples vaincus ; des inscriptions évoquaient les grandes actions que la fête avait pour objet de célébrer ; des jeux de toute espèce, des orchestres et une infinité de buffets bien garnis remplissaient ce beau jardin. Le neige qui tombait en abondance, l’humidité du sol et le froid noir de l’automne glacèrent nos cœurs, nos estomacs et nos jambes. Beaucoup de militaires demandèrent à se retirer, mais les grilles étaient fermées ; il fallut parlementer avec le Sénat ; tout cela entraînait des longueurs qui irritaient. Enfin, la menace d’escalader les murs s’étant répandue, la consigne fut levée, les portes ouvertes et tous les vieux de la Garde s’échappèrent comme des prisonniers qui recouvrent la liberté. Il n’y resta, je crois, que les fusiliers et ceux qui, n’ayant pas d’argent pour diner en ville, trouvaient qu’il valait encore mieux manger un diner froid que de ne pas diner du tout. Ils durent s’en donner, car il y avait de quoi et du bon. Les officiers étaient traités dans le Palais. Je fus avec plusieurs de mes camarades diner chez Véry ; ensuite aux Français.

Peu après, l’Impératrice nous donna à diner à la caserne,