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Les feux et les salves d’artillerie terminés, nous rentrâmes au quartier. Le bal commença ensuite et se prolongea fort tard dans la nuit. Plus de 1 500 personnes de la Cour et de la Ville y assistèrent ; on dit qu’il fut magnifique...


JE SUIS NOMMÉ SOUS LIEUTENANT

Le 31 décembre, le général Goules, notre colonel en premier, me fit dire de me rendre chez lui... Après m’avoir demandé mon nom, il sortit d’un tiroir de sa table plusieurs nominations de sous-lieutenant, où je distinguai sur le champ la lettre qui était pour moi. Il me demanda alors : « Avez-vous fait toute la campagne ? Etiez-vous à Iéna, à Varsovie, à Eylau, à Kœnigsberg, à Berlin, au retour ? » Je répondis oui à toutes les questions, parce que cela était vrai... — « Mais alors comment se fait-il que, lorsque j’ai fait demander après vous en différentes fois, on m’ait répondu que vous étiez inconnu au régiment ? — Cela tient à deux fails, mon général : le premier, c’est que ce ne sont pas mes prénoms. Le décret porte Pierre-Louis, tandis que je m’appelle Jean-Baptiste-Auguste ; le deuxième, c’est plus grave : j’ai le malheur de n’être pas aimé du sergent-major. — Ah ! ah ! pourquoi cela ? — En voici la cause, mon général : à la bataille d’Eylau, un boulet coupa en deux le fusil du sergent-major, qui était alors reposé sous les armes et le bras gauche appuyé sur la douille de la baïonnette, ce qui lui fît faire une si singulière pirouette, que je ne pus contenir un éclat de rire qui m’échappa bien involontairement, sans malice et sans penser qu’il pouvait être blessé ; il l’était en effet. En se retirant pour aller se faire panser, il me dit : Je me souviendrai de votre rire. Je compris de suite combien sa menace pourrait m’être préjudiciable, car je le connaissais haineux et rancunier ; aussi je me tins sur mes gardes pour ne pas être puni par lui. A Kœnigsberg, à Berlin et ailleurs, quand on appelait mon nom au rapport pour me faire remettre ma lettre de service, il répondait : « Il y a bien un Barrès à la compagnie, mais ce n’est pas celui-là » Il se gardait bien de m’en parler, de crainte que je ne fisse des démarches pour prouver que nous n’étions pas deux de ce nom dans les deux régiments. Voilà pourquoi, mon général, on m’a fait passer pour inconnu... »

Après quelques instants de réflexion, il me dit : « Mettez-vous à mon bureau et écrivez. » C’était une lettre au ministre de la