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et donne la main aux voltigeurs pour les aider à monter. Ils font le coup de feu, perdent 2 ou 3 hommes, arrivent à la porte, l’ouvrent et donnent entrée à des troupes du 11e corps qui attendaient au pied des murailles, ne pouvant pas les escalader, faute d’échelles. La ville prise, les voltigeurs vinrent me rejoindre. Un instant après, le général Compans arriva devant la compagnie. Il me dit : « Capitaine, vous allez faire sergent ce brave caporal, et caporal celui des voltigeurs qui a le plus d’instruction, car ils mériteraient tous des récompenses, ne faisant pas de différence entre eux. Si le sergent n’eût pas été tué, je l’aurais fait faire officier. Enfin, vous proposerez pour la décoration ce même caporal, et un des voltigeurs à votre choix. » Tout cela m’avait été dit à l’écart. J’étais éloigné du bataillon, me trouvant alors détaché avec une batterie d’artillerie pour sa garde. Je fis les deux promotions, ce qui n’était pas très régulier ; mais les ordres étaient impératifs et le motif trop honorable pour que je ne les exécutasse pas sur le champ.

Dans la soirée, mon soldat de confiance m’apporta du pain, du saucisson, une bouteille de liqueurs et une botte de paille qu’il avait achetés à Bautzen. J’en fis part à mes deux officiers. Puis j’étendis ma botte de paille derrière les faisceaux de la compagnie dont un rang était debout et les deux autres couchés, et cela alternativement d’heure en heure. Tout cela fut reçu avec reconnaissance, car nous étions bien anéantis par la faim et la fatigue.

21 mai. — Avant le jour, on prit les armes et plus tard on se porta au pied des collines qui se trouvaient de l’autre côté du ruisseau, où nous nous étions arrêtés la veille au soir. Dans l’ignorance de ce qui se passait, nous attendions l’ordre de nous porter en avant pour poursuivre l’ennemi ; mais la détonation de plusieurs centaines de canons et la vive fusillade qui se firent entendre sur toute la ligne de l’armée nous apprirent que ce que nous avions fait la veille, n’était que le prologue d’un sanglant drame qui allait se jouer en avant de nous par 350 000 hommes conviés à cette représentation.

L’Empereur étant arrivé, nous gravîmes sans résistance la colline qui était devant nous, et descendîmes dans la plaine opposée où nous vîmes l’année russe couverte par des redoutes et des retranchements dont tout son front était hérissé. Cette ligne retranchée se prolongeait depuis les versants des montagnes