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yeux. Ceux des Saxons qui se trouvaient de ce côté de la rivière ne purent exécuter assez tôt leur mouvement ( ?) sertion. Ils furent arrêtés et envoyés sur les derrières du maréchal des logis d’artillerie, en traversant nos rangs à la suite de sa batterie, criait à tue-tête : « Paris, Paris ! » Un sergent du bataillon, indigné comme toute l’armée de cette lâche désertion et de son insolence, lui répondit : « Dresde, Dresde ! » et retendit mort à ses pieds d’un coup de fusil.

Peu de minutes après, nous arrivâmes sur le terrain où se trouvait le débris du 6e corps, qui avait été anéanti le 16. Il était dans le beau village de Schönefeld, luttant corps à corps avec les Suédois qui voulaient s’en rendre maîtres, combattant au milieu des flammes et des décombres. La 1re division, dont nous faisions partie, était à droite hors du village, soutenant l’artillerie qui foudroyait les musses ennemies à mesure que celles-ci approchaient pour tourner le village et nous jeter dans la Parthe. Le maréchal Marmont et le général Compans nous virent arriver avec plaisir, car notre bataillon, tout faible qu’il était, était encore plus fort que ce qui restait de cette belle division, forte de plus de 8 000 hommes à la reprise des hostilités. Dès notre arrivée, notre mince colonne fut sillonnée par les boulets ennemis. Les officiers et les soldats tombaient comme les épis sous la faux du moissonneur. Les boulets traversaient nos rangs depuis le premier jusqu’au dernier et enlevaient chaque fois trente hommes au moins quand ils prenaient la colonne en plein. Les officiers qui restaient ne faisaient qu’aller de la droite à la gauche de leur peloton, pour faire serrer les rangs vers la droite, tirer les morts et les blessés hors des rangs et empêcher les hommes de se pelotonner et tourbillonner sur eux. Le maréchal Marmont et le général Compans ayant été blessés, nous passâmes sous les ordres du maréchal Ney qui vint nous encourager à tenir bon. Enfin, après plusieurs heures de cette formidable canonnade, nous fûmes contraints de nous retirer quand Schönefeld eut été enlevé, et notre gauche prise à revers par les troupes qui venaient de s’emparer du faubourg de Halle.

Notre retraite se fit en bon ordre sous la protection de la grosse artillerie de réserve qui arrêta court l’armée de Bernadotte, ancien maréchal français, prince royal de Suède. Nous nous arrêtâmes sur la rive droite de la Parthe, où nous passâmes la nuit. Elle fut triste, pénible, cruelle ! La douleur d’avoir