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Dans la matinée, étant sur mon cheval de la veille, je fus accosté par son propriétaire qui le réclama. Je lui fis observer que l’ayant abandonné, il avait perdu tous ses droits à sa possession. Après bien des pourparlers, il me demanda son porte-manteau : je lui dis l’usage que j’en avais fait et je lui remis ses papiers. Le soir, au bivouac, un caporal de ma compagnie, gravement blessé au pied, me pria, les larmes aux yeux, de lui donner ce cheval pour le porter à Mayence. Pour sauver ce malheureux soldat qui avait bien fait son devoir pendant la campagne, je le lui donnai, à condition qu’il me le remettrait à Mayence. Je me condamnai à faire la route à pied pour lui être utile ; c’était le meilleur usage que je pouvais en faire.

Ayant passé l’Unstrut à Freybourg, non loin de Rossbach, sur un pont battu par l’artillerie ennemie, Barrès est envoyé à Erfurt pour prendre des effets d’habillement. Cependant, la retraite se poursuit, aggravée par le froid et la faim. Le 29 octobre, Barrès bivouaque près du bourg d’Auttenau :

30 octobre. — Nous entendîmes en avant de nous de fortes détonations de canons qui, par leur intensité et leur prolongation, nous annoncèrent que l’ennemi nous avait devancés et cherchait à nous barrer le passage comme il l’avait fait déjà deux ou trois fois, mais sans succès, depuis le commencement de notre retraite. Plus loin, des officiers d’état-major, envoyés sur les derrières pour accélérer la marche des troupes et faire arrêter tout ce qui pouvait ralentir, nous apprirent que c’était l’armée bavaroise qui était arrivée en poste et nous disputait le passage à la hauteur de Hanau. La route étant moins encombrée, on put aller plus vite ; on ne marchait plus, on courait.

Avant d’arriver sur le terrain où se livrait la bataille, nous fûmes canonnés par des pièces qui se trouvaient sur la rive gauche de la Kinzig. Je fus envoyé avec mes voltigeurs pour les obliger à s’éloigner de cette rive. Mes hommes s’étant embusqués derrière les arbres du rivage pour faire feu sur les canonniers, ceux-ci après quelques décharges se sauvèrent plus vite qu’ils n’étaient venus. Avant d’entrer en ligne, les débris du 6e corps se formèrent en colonnes d’attaque et, marchant au pas de charge et à la baïonnette le long de la rive droite du Kuntz, ils concoururent avec les autres troupes déjà engagées à jeter les perfides Bavarois dans cette rivière, et à rétablir les communications interceptées depuis quarante-huit heures. Les Bavarois