Page:Revue des Deux Mondes - 1922 - tome 11.djvu/849

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de corps). Ce Conseil commença ses opérations le 1er mars, et ne les cessa que vers la fin d’avril, lorsque la maladie eut tout à fait disparu. Il s’assemblait tous les jours et resta souvent en permanence. Son action fut utile et sauva bien des malades d’une mort inévitable. Ma coopération y contribua bien un peu, car, ainsi que je l’ai dit plus haut, j’étais toujours là pour veiller à l’exécution des mesures ordonnées et suppléer aux insuffisances.

Les misères du blocus, sous le rapport alimentaire, ne furent pas généralement très rigoureuses. Si on en excepte la viande de boucherie qui manqua totalement dès les premiers jours, les autres comestibles tels que le pain, les légumes secs, les salaisons furent distribués assez régulièrement et en quantité suffisante, ou du moins d’après les règles en usage dans les places assiégées. La viande de bœuf fut remplacée par celle de cheval. Un de mes officiers chargé des distributions ne m’en laissa pas manquer. On donnait aussi un peu de vin, d’eau-de-vie, de la morue, des harengs secs, etc. . On pouvait, en payant un peu cher, trouver à diner dans les hôtels, mais quels dîners ! Malgré ces privations et la mortalité qui était effrayante, les cafés, les théâtres, les concerts, les bals étaient très suivis. Le spectacle était très bon, malgré la mort de plusieurs acteurs. J’y allais souvent, pour chasser les préoccupations du moment.

Le 11 avril, nous apprîmes les événements de Paris, et successivement, tous ceux qui en furent la suite. Cette foudroyante nouvelle nous fut communiquée officiellement par le général Sémelé, qui avait réuni à la Weisnau tous les officiers de sa division pour leur en faire part. Tous les officiers, à peu près, versèrent des larmes de rage et de douleur à la lecture de cette accablante fin de notre héroïque lutte avec l’Europe entière. On se retira morne, silencieux, dévorant intérieurement les souffrances morales que causaient des événements qui nous avaient semblé ne devoir jamais se réaliser. Avant d’entrer en ville, je fus accosté par mon chef de bataillon, le comte Durocheret, qui n’avait pas pu s’éloigner de Mayence, comme il en avait le projet. « Mon Dieu, lui dis-je, que va devenir la France, si elle tombe au pouvoir des Bourbons (que je croyais tous morts depuis longtemps) ? Que vont devenir nos institutions, ceux qui les ont fondées, les acquéreurs de biens nationaux, etc ?... — Mon cher capitaine, me répondit-il avec vivacité,