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vous ressemblez à tous les officiers que nous venons de voir et d’entendre : vous vous figurez que les Bourbons, que vous ne connaissez que d’après les horreurs qu’on a dites d’eux pendant la Révolution, sont des tyrans et des imbéciles. Rassurez-vous sur l’avenir de la France. Elle sera plus heureuse, sous leur sceptre paternel, que sous la verge de fer de cet aventurier qu’on va chasser, s’il ne l’est déjà » Je m’éloignai furieux, après lui avoir dit : « Vous pensiez différemment il y a trois mois. » Je suffoquais de douleur et de honte pour mon pays.

Le 21 avril, nous arborâmes le drapeau blanc et primes la cocarde de la vieille monarchie. Le même jour, les officiers durent remettre individuellement un acte d’adhésion au nouvel ordre de choses. Dès ce moment, les relations avec l’extérieur furent permises, et les communications avec les ennemis, qu’on appelait nos alliés, autorisées. Déjà beaucoup d’officiers généraux et supérieurs étaient partis pour Paris, pour aller saluer les nouveaux astres ; cet empressement devint plus vif après la cérémonie de la reconnaissance du drapeau. La cocarde tricolore fut quittée avec douleur, et la cocarde blanche arborée avec un serrement de cœur. La veille de ce jour, avant que l’ordre en fût donné, je vis un colonel en second des gardes d’honneur avec une cocarde blanche. Je dis tout haut aux officiers qui se trouvaient avec moi : « Tiens, voilà une cocarde blanche ! » Le colonel en colère marcha sur moi, en me disant : « Eh bien ! monsieur, qu’avez-vous à dire sur le compte de cette cocarde ? » Je lui répondis froidement : « C’est la première que je vois de ma vie. » Il se retira sans rien ajouter, mais visiblement courroucé de mon exclamation. (Il devint pair de France sous la Restauration. C’était le marquis de Pange. Je l’ai beaucoup connu par la suite, quand il commandait le département de la Meurthe et nous riions de ce souvenir.)

L’ordre arriva de remettre au prince de Saxe-Cobourg qui commandait les troupes du blocus, la célèbre et forte place de Mayence, avec son immense matériel. Nous en sortîmes en vertu de la convention spoliatrice du 23 avril qui reportait la France à ses anciennes limites. Que de pertes nous fîmes dans un seul jour ! Quels regrets amers nous causa cet abandon !

Le bataillon de Barrès se replie par étapes vers Paris et en cours de route, à plusieurs reprises, à des rixes sanglantes avec les troupes russes.