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Le 12 juin, une heure après notre arrivée à Montmirail, je partis, avec trois autres officiers, dans une voiture particulière, pour Paris, où j’étais envoyé par le major pour toucher la solde des officiers du mois de mai et celle des soldats qu’on n’avait pu se procurer chez les payeurs des villes où nous étions passés, faute de fonds. Nous passâmes la nuit à Trépors, village sur la rive gauche de la Marne. L’auberge où nous descendîmes était remplie de filles publiques de Paris, qui avaient accompagné les Russes qui se retiraient jusqu’à ce village. Nous arrivâmes à Paris, le 13, de bonne heure dans l’après-midi, et à peine si le soir nous étions logés. La restauration de la vieille monarchie avait attiré à Paris tant de nobles et d’émigrés, tant de Vendéens et de chouans, tant de partisans des Bourbons et de victimes de la Révolution, tant d’hommes bien pensants, des hommes retournés, des ambitieux, que tous les hôtels étaient pleins jusqu’aux combles. Et les théâtres aussi. On y jouait des pièces de l’ancien répertoire, appropriées aux circonstances, je citerai entre autres la Partie de chasse de Henri IV, qui étaient vigoureusement applaudies. On aurait dit que l’Europe entière s’était donné rendez-vous dans le jardin du Palais-Royal.

Dès mon arrivée, je m’occupai très activement de la mission qui m’avait été confiée, mais je trouvai partout des fins de non recevoir, des difficultés de tout genre à surmonter. J’étais renvoyé de l’inspecteur aux revues au ministère de la Guerre, de celui-ci à celui des Finances ; mes pièces en règle, je me présentai chez le payeur qui n’avait pas de fonds ou ne voulait pas m’en donner. Il fallait recommencer les courses, les sollicitations, faire renouveler les autorisations de payement, etc. Cela dura six jours. Enfin, le 20 dans la journée, nous fûmes payés. Pendant ces interminables formalités, le régiment que j’avais laissé sans argent, cheminait pauvrement vers la Bretagne, vivant presque de charité. Moi à Paris, je n’étais, dans les derniers jours, guère plus heureux. Ayant partagé mes ressources avec mes compagnons de voyage, ressources qu’on ne ménagea point dans le commencement, parce qu’on comptait sur le payement de la solde et de l’indemnité de route, il arriva que le dernier jour nous n’aurions pas déjeuné, si un député de mes amis n’avait pas mis sa bourse à ma disposition.

Le 21 juin, je pus rejoindre mes camarades à Mortagne. Je les trouvai à table, mangeant leur dernier écu. Mon arrivée fut