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saluée avec des transports de joie. Avec moi revint la bonne humeur parce que j’apportais ce qui la fait naître et l’entretient. Le major m’avoua qu’on dépensait ce soir le dernier « sol » qu’il y eût dans les bataillons. Cette situation n’étant plus tenable, il avait pris la résolution de s’arrêter à Alençon, et de dire au maire d’inviter les habitants à nourrir les soldats jusqu’à ce qu’il eût reçu l’argent nécessaire pour continuer leur route.

Le 6 juillet, nous arrivâmes à Lorient qui était le lieu de notre destination. L’obligation d’aller à la messe tous les dimanches contraria beaucoup les officiers et leur fit prendre les Bourbons en grippe, mais plus encore la certitude qu’une immensité d’entre nous serait envoyée en demi-solde. Le 1er octobre, l’organisation du 44e de ligne se fit dans le cabinet du colonel, en présence de l’inspecteur général comte de Clausel, mais ce travail demeura secret. Le 3, cette opération se fit sur le terrain du polygone, en présence d’un grand concours d’officiers qui attendaient avec anxiété le résultat des notes, qui avaient été données sur le compte de chacun d’eux. L’appel des officiers maintenus en activité se fit d’abord pour les officiers supérieurs, puis pour les officiers comptables, puis pour les officiers de campagne. Quoique j’eusse une espèce de certitude, je trouvai cependant le temps long de ne pas entendre appeler mon nom. Je fus appelé le dernier, parce que je devais commander la 3e de voltigeurs.

Barrès, mis en congédie semestre, se retire en Auvergne auprès des siens :

À Blesle, où j’ai le plaisir de retrouver ma mère et tous mes parents en bonne santé.

Le changement de gouvernement avait aussi changé l’esprit de la société. Il n’y avait plus l’entrain de 1812. La politique avait divisé les individus et refroidi les familles. La noblesse avait repris son orgueil et ne recevait plus avec la même simplicité qu’auparavant. Pour ne pas être témoin de ses hauteurs, je la fréquentai peu, je sortis moins et m’ennuyai assez. Cependant il y avait une maison, illustre dans le pays par sa naissance et ses vieux parchemins, où j’allais tous les vendredis avec mon frère, qui était aussi en congé de semestre, passer vingt-quatre heures. C’était chez le comte Hippolyte d’Espinchal, chef d’escadron au 31e de chasseurs, demeurant à Massiac, petite ville à une lieue de Blesle. Mon frère servait dans le même corps.