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PENDANT LES CENT JOURS

Ce fut dans la dernière de ces courses, vers le 9 mars, vaguement le vendredi soir, mais positivement le samedi matin, que j’appris par plusieurs lettres de Paris, que Napoléon était débarqué en Provence le 1er mars, et marchait sur Lyon. Cette nouvelle plus qu’immense me surprit et m’étonna beaucoup. Rentré chez moi, je contins la joie que j’en éprouvais, sans pouvoir la définir, car j’étais aussi inquiet sur les suites que satisfait de l’événement. J’attendis quelques jours, espérant que des ordres me parviendraient, mais, n’en recevant pas, je me rendis au Puy pour savoir ce que nous devions faire.

C’est dans ce temps-là que le courrier qui portait les fonds du Gouvernement fut arrêté entre le Puy et Yssengeaux par des voleurs. Un général, que l’Empereur avait chassé des rangs de l’armée, et qui commandait le département, eut l’infamie de soupçonner les officiers en demi-solde d’avoir exécuté ce coup de main. Il les fit venir chez lui aussitôt qu’il eut connaissance de ce vol, pour s’assurer de leur présence au chef-lieu. Quand les officiers eurent connaissance du motif de cet injurieux appel, ils traitèrent le général comme il le méritait ; et quand ils surent que l’Empereur était à Paris et que le Roi étroit parti, ils furent chez lui pour lui signifier de quitter le Puy à l’instant même, parce que une heure après, ils ne répondaient plus de son existence. Il partit immédiatement, bien heureux d’en être quitte pour des menaces.

Le jour qu’on reçut la nouvelle que l’Empereur était arrivé à Paris, j’allai à la Préfecture avec mon frère, pour voir notre aîné, secrétaire général. Nous étions tous les deux en uniforme. Près d’entrer dans l’Hôtel, nous fûmes assaillis par une multitude de misérables en haillons qui tombèrent sur nous aux cris de : « Vive l’Empereur, à bas la cocarde blanche ! » et sans nous donner le temps de répondre nous bousculèrent, s’emparèrent de nos schakos, arrachèrent nos cocardes et nous couvrirent d’injures. Mon frère et moi, nous avions mis l’épée à la main pour nous défendre, mais saisis en même temps par derrière, nous ne pûmes en faire usage. La garde de la Préfecture vint aussitôt à notre secours, et nous délivra des mains de ces forcenés qui auraient fini par nous écharper. Mon Dieu, que j’étais en colère ! Je pleurais de rage !