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Je pris ma feuille de route le lendemain pour rejoindre A Brest le régiment. A Tours, à l’hôtel où nous descendîmes, nous avons trouvé plusieurs officiers de l’ancienne armée qui, étant entrés dans la Maison rouge du Roi, l’avaient accompagné jusqu’à la frontière. Ils se plaignaient amèrement des mauvais procédés des troupes envoyées à la poursuite du Roi, et qu’ils avaient rencontrées à leur retour.

Nous achetâmes une toue ou petit bateau pour descendre la Loire jusqu’à Nantes, et louâmes un homme pour le conduire. Il fallut ramer souvent et longtemps pour vaincre la résistance du vent et éviter les vagues qui étaient très fortes. J’avais plus de vingt ampoules aux mains quand je sortis du bateau. Nous le vendîmes plus qu’il ne nous avait coûté et le produit du passage de trois à quatre personnes que nous primes en route, nous couvrit de tous nos frais. Le voyage fut charmant pendant les deux premiers jours et nous pûmes voir sans fatigue, très en détail, les rives tant vantées de la majestueuse Ivoire.

A Quimper-Corentin, mon chef de bataillon qui y était en garnison nous chercha querelle parce que nous avions encore sur nos croix d’honneur l’effigie d’Henri IV, lui qui, quelques mois auparavant, voulait m’envoyer aux arrêts parce que je n’avais pas fait changer l’effigie de Napoléon et remplacer l’aigle impériale par les fleurs de lis de l’ancien régime !

A Brest où nous arrivâmes le 18 mars, nos camarades nous accueillirent avec cet empressement, cette cordialité qu’on ne trouve guère que chez les militaires. Le colonel lui-même nous invita à diner, chose qu’il ne faisait guère, et nous témoigna beaucoup d’amitié. Cela tenait en grande partie à ce que, pendant notre absence, il avait été excessivement mal pour les officiers. Ceux-ci, au retour de l’Empereur, le dénoncèrent et demandèrent son renvoi. Un capitaine se chargea de porter la pétition à Paris et de la remettre en personne à l’Empereur. Cette requête, contraire à la discipline et à la soumission envers son chef. fut envoyée au président d’une commission chargée de purger l’armée de tous les officiers émigrés ou autres qu’on y avait introduits depuis le retour des Bourbons. Ce général, ami du colonel, ne donna pas suite à cette dénonciation et renvoya le capitaine au régiment. Mis aux arrêts forcés pour s’être absenté du corps sans permission, les capitaines qui étaient cause de sa punition se réunirent pour aller demander sa grâce.