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officiers de la ligne baissèrent la tête pour gémir sur tant de maux ; mais ceux des bataillons des gardes nationales des Côtes-du-Nord refusèrent avec une violence extrême. Alors, après bien des débats tumultueux, un colonel d’état-major s’écria : « Retirons-nous et faisons notre devoir de bons citoyens en nous soumettant à ce que nous ne pouvons pas empêcher ! Laissons cette minorité factieuse dans ses rêves insensés et son impuissance ; sauvons Brest contre les Prussiens qui marchent sur la Bretagne, contre les Anglais qui voudraient nous voir en rébeltion pour pouvoir prendre la ville et la détruire. » Les officiers se retirèrent avec leurs chefs pour délibérer de nouveau. Il fut convenu qu’on se conformerait à ce que ferait l’armée de la Loire. Chacun de nous prit cet engagement par écrit et le signa individuellement.

Je fus chargé de porter ces adhésions conditionnelles au gouverneur, qui ne voulut pas les accepter. « C’est une escobarderie, me dit-il : il faut dans notre métier plus de franchise. Allez, mon cher capitaine, dire à vos camarades d’être plus conséquents et de se déclarer franchement pour ou contre le gouvernement des Bourbons. Dans une heure, j’annoncerai par le télégraphe la soumission entière de la garnison ou la résistance de quelques corps. » De retour chez le major O’Neill où les officiers m’attendaient, je fis part de l’ultimatum du général. Là-dessus grands cris, vacarme... Après avoir bien exposé la position des choses à tous mes camarades, je pris une feuille de papier où j’écrivis : « Je reconnais pour mon souverain légitime Louis XVIII, et jure de le servir fidèlement ; » et après l’avoir signée, je la fis passer sous les yeux de quelques voisins qui la copièrent. Une demi-heure après, je les déposais toutes entre les mains du gouverneur qui fut fort satisfait. Le major O’Neill, excellent officier sous tous les rapports, s’était tenu à l’écart pour ne pas gêner les officiers dans leur détermination.

Le 20 juillet au matin, les canons de la place, des forts en mer et de la rade, saluèrent le nouveau drapeau et la cocarde blanche fut reprise. L’agitation de la veille avait cessé, et les gardes nationales avaient reçu l’ordre de rentrer dans leurs foyers. Le gouverneur nous fit dire qu’il comptait sur la bravoure et le dévouement des troupes de la garnison pour conserver à la France son plus riche matériel.

L’ordonnance du 3 août qui licenciait l’armée ne fut, en