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comme il avait été frappé de l’analogie qu’il présentait avec celui d’Alfieri, c’est dans ce sens qu’il poussa ce portrait assez arbitraire. Si l’on veut connaître le vrai Washington, il vaut mieux s’adresser à la statue de Houdon. Celle de Canova fut d’ailleurs reçue avec enthousiasme et on proclama que l’art antique, ressuscité par le ciseau du Phidias moderne, avait vraiment consacré la gloire du grand homme... L’histoire de cette statue serait intéressante et instructive ; mais nous ne saurions nous attarder à tous les détails où il faudrait s’engager.

Les papes avaient fait de Canova leur surintendant général des Beaux-Arts. Quand les jours mauvais arrivèrent, que la Révolution française et les guerres d’Italie, l’occupation de Rome, les tribulations de la Papauté lui eurent rendu le séjour de la ville difficile (quoique des sentinelles françaises eussent été placées à la porte de son atelier pour le protéger contre tout pillage) il se retira d’abord à Bassano chez le prince Rezzonico, puis dans son cher Possagno où sa vieille mère vivait encore et où ses concitoyens lui ménagèrent une entrée triomphale dont il ne parlait que les larmes aux yeux. Il consentit enfin à un voyage en Allemagne et en Autriche. Une commande importante devait, deux ans plus tard, le ramener à Vienne. L’archiduc Albert avait résolu d’élever à sa femme, l’archiduchesse Marie-Christine, un mausolée, pour lequel il projeta d’abord de faire construire une chapelle spéciale, mais qui trouva finalement place dans l’église des Pères augustins. C’est sans doute le chef-d’œuvre de Canova.

Il y utilisa l’idée du magnifique tombeau qu’il avait rêvé de consacrera Titien dans l’église des Frari, le Panthéon vénitien (où devait un jour s’ériger, par les soins de ses élèves, sur le même modèle, le cénotaphe de Canova lui-même. Le monument de Titien ne fut jamais exécuté, mais il en avait fixé l’idée dans un dessin conservé au musée Correr de Venise. A la base et au centre d’une haute pyramide, une porte s’ouvrait sur l’autre monde, vers laquelle, gravissant les degrés, des femmes long voilées, portant l’urne et les attributs de la peinture dont elles mènent le deuil, s’acheminent en un lent cortège. Un ange, aux grandes ailes encore frémissantes, est venu s’abattre sur le seuil que franchit la porteuse des cendres, guidée par un petit angelot... C’est cette même donnée qu’il reprit pour le monument de Marie-Christine.