Page:Revue des Deux Mondes - 1922 - tome 11.djvu/900

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Le thème général est identique, mais il s’est enrichi ; le cortège s’est allongé ; un premier groupe de porteuses d’urnes et de guirlandes franchit le seuil funèbre où la Douteur l’a précédé ; la Charité les suit, soutenant la marche défaillante d’un vieillard impotent et aveugle (que les purs classiques, comme le Suédois germanisant Fernow, ne manquèrent pas de trouver trop réaliste, vulgaire et indigne du grand art). De l’autre côté, l’ange de la mort appuyé sur un lion, symbole du courage et souvenir, sinon simple répétition des lions du monument Rezzonico, est venu s’appuyer et replie tristement ses ailes. Sur l’épais linteau de la porte on lit cette inscription : Uxori optimæ Albertus ; au-dessus, une figure volante du plus gracieux mouvement assistée d’un angelot porteur de palmes, prend son essor, en serrant tendrement dans ses bras un médaillon où est sculpté le profil de l’archiduchesse. Il n’est pas dans l’histoire de la sculpture funéraire de monument plus vanté et l’on peut dire plus justement célèbre... Mais, n’en déplaise à Quatremère de Quincy, c’est bien au vieux thème iconographique « baroque et rococo » qu’il se rattache encore, le style seul des figures ayant été amendé selon l’esprit nouveau et la mise en scène renouvelée par le génie du statuaire. Il ne fut inauguré qu’en 1805.


A cette date, Canova, après les années orageuses écoulées depuis le traité de Campo-Formio, avait repris à Rome, auprès de Pie VII, qui ne voulut pas accepter sa démission deux fois offerte, ses fonctions d’intendant général des musées pontificaux et du service des antiquités. Il avait eu l’honneur de se voir consacrer, au musée Pio Clementino, un cabinetto spécial où son Persée, transposition de l’Apollon du Belvédère alors réquisitionné pour le musée du Louvre, occupait sur le socle laissé vide une place soigneusement choisie entre les deux Pugilatori qui fournirent aux archéologues et aux esthéticiens le thème de tant de dissertations. Et malgré toutes les instances, tentatives et tentations et même flatteries multipliées par Napoléon et tous les agents directs ou indirects dont il pouvait disposer, Canova refusa toujours obstinément de prendre du service auprès de l’Empereur, comme il avait refusé, quand Venise eut été cédée à l’Autriche, de se considérer comme un sujet autrichien et de se fixer à Vienne. Son ardent patriotisme répugnait à servir le