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scrupules de doctrine, qui intimidèrent plus qu’ils n’exaltèrent le grand statuaire... Ce fut un effet de l’École qui allait hâter par son intransigeance les révoltes du romantisme. Canova mourut au moment même où le salon de 1822 venait d’en révéler les premiers soulèvements.

L’homme fut digne de tous les respects ; sensible, délicat, généreux. Stendhal a écrit de lui : « J’ai vu Canova louer tous les sculpteurs dont on lui parlait ; il trouvait quelque chose à admirer même chez les plus exécrables tailleurs de pierre, chez des gens qui rendent à peine reconnaissable la figure humaine. » Ici encore, on eût souhaité de connaître exactement les noms de ces « exécrables » tailleurs de pierre pour lesquels le maître se montrait si indulgent, comme ceux des « pédants » dont il était question au début de cet article. Stendhal, il est vrai, semble sous-entendre qu’il entrait un peu de prudence dans cette débonnaireté. On peut affirmer que la bonté y avait la principale part. Sa vive intelligence, sa sensibilité plus vive encore l’ouvraient à la plus large et compréhensive sympathie. Quand il découvrit, — trop tard, hélas ! — à Londres, dans les marbres du Parthénon, l’authentique sculpture grecque et le grand Phidias, il entrevit que toute la vérité et le secret de la beauté n’étaient pas contenus dans les théories et les formules abstraites de Winckelmann et de Quatremère de Quincy. Il s’étonne de ces modelés souples, qui expriment si bien « la chair ; » il s’extasie devant cette sculpture carnosa... Et peut-être, s’il avait eu, en ses jeunes années, l’expérience et l’autorité de cette démonstration magnifique, eût-il été moins docile aux remontrances et aux suggestions des archéologues métaphysiciens, qui avaient fondé la définition de « l’idéal » sur la beauté très relative de l’Antinoüs et de l’Apollon du Belvédère...

Le deuil que mena l’Italie à sa mort, la solennité des cérémonies de ses funérailles, éveillèrent des échos dans le monde entier. Il était juste que le centième anniversaire n’en passât pas inaperçu. L’Italie, qui vient de célébrer le huitième centenaire de Dante, ne pense assurément plus à mettre Canova sur le même plan. Mais elle a bien raison de n’oublier aucun des grands noms dont son histoire est ennoblie et d’être fidèle à toutes ses gloires.


ANDRÉ MICHEL.