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cette furie se promenait, épaisse et hideuse, la cigarette aux dents, écartant à coups de cravache les femmes qui essayaient de lutter contre le feu.

— Vous avez donc peur, mes filles, hurlait-elle, que votre lupanar ne brûle ?

Je n’ose, bien entendu, employer ses propres expressions.

Sa carrière prit fin lorsque les commissaires du peuple jugèrent qu’ils n’avaient plus besoin d’elle pour faire prendre racine à la révolution. Elle devenait trop indépendante ; elle brûlait les églises chrétiennes, mais dévalisait les temples juifs. Elle se réfugia à Sébastopol avec son amant : en 1919, elle fut arrêtée et pendue.


Je trouvai, à la petite maison de ferme, le général Alexéïeff avec son état-major.

Nous nous tenions sur la rive haute du Kouban à la lisière du bois, suivant des yeux les opérations de nos unités qui, par endroits, avaient engagé le combat dans les faubourgs de la ville. L’artillerie bolchéviste ne ménageait pas ses coups, heureusement mal dirigés : les obus éclataient en l’air, ou bien tombaient parmi les roseaux de la rivière.

Le 30 mars, toujours dans cette même ferme, il nous apparut clairement que, même dans l’hypothèse la plus favorable, nous n’étions plus en mesure de fournir l’effort nécessaire pour la victoire. Nos munitions étaient presque complètement épuisées : un officier d’artillerie me montra avec désespoir une caisse à moitié vide, — tout l’avoir de la batterie.

Notre artillerie travailla, cependant, magnifiquement, ce que démontrent les pertes de l’ennemi. De l’aveu même des bolchévistes, ils perdirent au siège d’Ekaterinodar plus de 14 000 hommes. De notre côté, les pertes furent de 1 200 à 1 500 combattants. Notre infanterie, fatiguée par des combats continuels, faisait des miracles, mais elle n’avait pas de réserves, tandis que les rouges étaient constamment relevés par des unités nouvelles. Ils avaient à leur tête un ancien infirmier, Sorokine, dont le talent militaire n’est d’ailleurs pas discutable : il réussit à faire approcher de très grandes forces, tandis que de notre côté nous n’avions que l’aide si décevante des Cosaques mobilisés. La ténacité de Sorokine sauva alors l’Ekaterinodar rouge,