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Peut-être fut-ce, en même temps, le salut de notre armée. Le général Denikine se prononçait contre les attaques décisives ; notre armée était trop affaiblie par les pertes et pouvait, même en cas de succès, être entourée et anéantie dans Ekalerinodar. Mais je n’ai pas qualité pour en juger.

Le 30, au soir, il fut évident que la victoire nous échappait ; un dernier assaut fut néanmoins décidé pour le matin du 31 mars.


VII. — LA MORT DE KORNILOFF

Ce matin-là une terrible nouvelle m’attendait ; j’appris, à mon réveil, que le général Korniloff avait été tué dans la nuit.

Au premier moment, on essaya de cacher l’événement. On prétendit que le général n’était que blessé. Mais le soir, tout le monde savait que Korniloff n’était plus.

Comme on l’a vu, le général occupait la petite maison de ferme située sur la rive haute du Kouban. De là le terrain descendait vers la ville d’Ekaterinodar. Ainsi la maison avait ses fenêtres tournées vers la ville, c’est-à-dire vers l’ennemi. On avait fait remarquer au général le danger que présentait une telle exposition. Cette bâtisse blanche, tout à fait isolée et complètement à découvert en cette saison, ne pouvait manquer d’attirer l’attention des artilleurs rouges, qui ne cessaient de tirer, même la nuit, envoyant au petit bonheur des engins de notre côté.

Cette nuit-là le général travaillait dans la petite maison blanche. Elle était composée de deux chambres exiguës. Celle où se trouvait le lit de camp du général ne mesurait pas plus de quatre pas de long et trois de large. Le lit, une table, une chaise, composaient tout le mobilier.

Le général n’était pas seul. Il avait avec lui ses deux aides de camp, le lieutenant Dolinsky et le lieutenant Rosakkhan (ce dernier était un homme superbe, originaire de Tekin, qui paradait avec une allure tout orientale en costume tcherkesse). Après leur avoir donné ses dernières instructions, le général se prépara à prendre un peu de repos et s’étendit sur le lit. À peine était-il couché, le visage au mur, qu’une grenade égarée perça le bas de la muraille et se déchira sous le lit même.

Chose singulière, les deux officiers, qui se trouvaient pourtant