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opération, il est blessé le 28 avril au bras avec fracture de l’os, mais ne quitte pas son poste pour si peu. Le 29 avril, il tire sa division d’une position critique et, resté avec le régiment Rimnitzky pour protéger la marche des autres unités, il est grièvement blessé à la jambe. Il tombe sans connaissance, est fait prisonnier par les Autrichiens. Il reste près de six mois au camp de concentration de Neulenbach ; puis, il est transféré dans le camp de Leka-Ungarn. L’étroite surveillance à laquelle il est soumis, le décide à mettre sans plus de retard à exécution le projet, depuis longtemps conçu, de son évasion.

Un premier plan d’évasion, — en avion piloté par le célèbre aviateur russe Vassiliev [1], — fut ébruité par les bavardages des officiers du camp. Rebuté de ce côté, le général Korniloff se mit à faire la grève de la faim et se plaignit que ses blessures eussent recommencé à le faire souffrir. Les Autrichiens, dont la méfiance était éveillée, mirent auprès du général un prisonnier russe, à leur solde, chargé de l’espionner. Korniloff paya d’audace : il alla droit à son compagnon de captivité : « Tu es soldat russe, lui dit-il ; je suis ton général. Je compte sur toi pour faciliter mon évasion. » Cette brusque interpellation, la droiture et l’assurance du général firent impression sur le soldat, qui promit à Korniloff de le servir et qui, de fait, loin de le trahir, se montra dévoué. Un médecin, appelé à la demande du général, le fit transférer à l’hôpital. Là Korniloff commença aussitôt à se nourrir et à se fortifier ainsi qu’à faire de la gymnastique en vue de se préparer aux marches longues et pénibles qu’il aurait à fournir. Un Tchèque, Franz Mrniak [2], lui procura un uniforme de soldat autrichien et les papiers nécessaires.

Au jour fixé, à midi, Korniloff profita du moment où le surveillant allait chercher le dîner, pour enlever sa capote d’officier et son képi, revêtir un uniforme de soldat et coiffer un vieux bonnet d’astrakan ; il sortit ainsi vêtu dans la cour et se mêla au groupe des ordonnances russes qui venaient chercher le dîner de leurs officiers admis à l’hôpital. En compagnie de Franz Mrniak, il passa dans le bâtiment des infirmiers où il s’habilla et se maquilla, en accord avec la photographie

  1. Recordman de Pétersbourg-Moscou et retour en moins de vingt-quatre heures, en décembre 1913, par plus de 20 degrés de froid.
  2. Le nom de ce héros ne mourra jamais dans l’armée russe.