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Page:Revue des Deux Mondes - 1922 - tome 11.djvu/913

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du passeport qu’on lui avait procuré. Toujours accompagné de Franz Mrniak, il passa facilement devant la garde de l’hôpital. Enjambant le mur à un endroit repéré d’avance, tous deux se rendirent à la gare et prirent un train en direction de la frontière roumaine.

A la dernière station précédant la frontière, ils descendirent et continuèrent la route à pied : déguisés en vagabonds, se nourrissant de baies et de racines, escaladant les montagnes, se terrant dans les bois, ils souffrirent mille privations. Il fallut vingt-deux jours à Korniloff pour atteindre la frontière. Franz Mrniak n’avait pas pu le suivre jusqu’au bout. Restait la dernière étape. Arrivé le soir à quelques pas de la frontière, le général Korniloff, complètement exténué, tomba à terre, dans l’impossibilité d’aller plus loin. Il fut bientôt entouré par des chiens qui se mirent à aboyer. Un homme s’approcha de lui : il se crut perdu. Cet homme était un berger, qui eut pitié de lui, le conduisit dans sa cabane, lui donna du lait et le réconforta. Mis en confiance, le général s’ouvrit à lui de son projet. Le berger lui expliqua qu’il y avait un endroit de la frontière, où les sentinelles, après s’y être rencontrés, revenaient sur leurs pas en se tournant le dos. Muni de ces indications, le général Korniloff s’approcha, en effet, du point où il pouvait traverser la ligne frontière, et, choisissant le moment favorable, se mit à courir de toutes ses forces, jusqu’à ce qu’il tombât sans connaissance. Quand il revint à lui, il était entouré de soldats roumains.

Je me rappelle très bien l’enthousiasme que souleva son retour en Russie. Pourquoi ne l’utilisa-t-on pas davantage ? On l’accusait, parait-il, de « tendances révolutionnaires ; » on redoutait sa popularité. De plus, tout brillant officier d’état-major qu’il fût, il n’était pas de la caste, il n’appartenait pas à cette franc-maçonnerie spéciale.

Au début de la révolution, Goutchkoff, le premier ministre de la Guerre du Gouvernement provisoire, le nomme commandant en chef de la place de Pétrograd. Mais le désordre et le laisser-aller de la soldatesque lui sont insupportables : il demande à être envoyé au front. L’opinion publique ne jure que par Korniloff ; on voit en lui l’homme capable de délivrer l’armée de la corruption qui commence à l’envahir. Enfin, on le nomme commandant des armées actives et plus tard, après Broussiloff, chef suprême.