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Pendant ce temps, Kerensky est devenu le dictateur, le dieu ! Et il est ministre de la Guerre.

Ce bas politicien voit tout de suite en Korniloff un rival. Porte au pouvoir par les circonstances, ce fourbe rencontre sur sa route, trop honnête, trop droit, le véritable chef qu’était Korniloff. Une seule idée peut germer dans ce cerveau pusillanime : tendre un piège à Korniloff. Il y parvient avec l’aide de V.-N. Lwow, ministre des Cultes, ancien membre de la Douma, un médiocre, un naïf, qui croyait en Kerensky ! Lorsque Korniloff, avec trop de précipitation, j’en conviens, mais dont le principal tort fut de ne pas se méfier de Kerensky, marche sur Pétrograd et engage la lutte contre les Soviets qui mènent la Russie à sa perte, il est déclaré traître et arrêté.

Ainsi le vil avocat vint à bout du héros.

Korniloff est emprisonné à Bykhoff près de Mogilew, et Kerensky devient le chef suprême de l’armée. Un sot, un ignorant, qui plaisait à la foule par son hystérie, estime que, si le père de Napoléon fut avocat, un avocat peut bien devenir Napoléon.

La suite est connue.

Korniloff s’évade de nouveau, et, avec ses soldats « tekines » qui l’adorent, parvient à rejoindre l’armée, que le général Alexéïeff organise sur le Don. Voyant qu’il ne peut traverser le pays avec ses forces et ne voulant pas exposer sa garde, Korniloff la démobilise et, seul, en habit de paysan, mêlé à la foule des soldats qui s’en vont à la conquête du Don, il arrive le 6 décembre 1917 à Novotcherkassk où il prend le commandement de l’armée volontaire.

Par cette courte biographie, on peut juger l’homme qu’était Korniloff. Fils du peuple, il donna toute son âme pour le salut de ce peuple, et fut tué par une main russe inconnue. Mais quelqu’un dirigea cette main coupable : il n’y a pas de doute que le premier à qui remonte la responsabilité de la mort de Korniloff, ce fut Kerensky.


La première fois que je vis le général Korniloff, ce fut au fameux Conseil qui se tint au Grand Théâtre de Moscou. La Russie intellectuelle et loyaliste livrait une bataille décisive. Elle était indiscutablement maîtresse de la situation ; Kerensky fit