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tout échouer, dans l’espoir de rattraper le pouvoir qui échappait à ses mains incapables et faibles.

Des coulisses où j’étais, j’embrassais tout le spectacle. La grande et splendide salle du théâtre était comble : on attendait avec impatience l’arrivée de Korniloff et de Kerensky.

Au parterre des hommes politiques de toutes nuances, des octobristes et nationalistes [1] et des bolchévistes dissimulés. Dans les loges, les généraux Alexéieff, Kaledine et les représentants des Cosaques, ainsi que les membres des « comités de soldats, » dont la plupart se distinguaient par leur indiscipline et leur arrogance, et au milieu desquels paradaient des engagés volontaires juifs, présidents de comités. S’y trouvaient également tous les « as » de la révolution : Tchaïkovsky ; la « grand mère de la révolution, » Brochko-Brechkovskaïa ; le « grand père, » Krapotkine ; Zassoulitch, etc. Dans la loge impériale les représentants des missions alliées contemplaient avec stupeur cette foule bizarre.

Le ministère socialiste était représenté par l’arrogant « zimmerwaldiste » Tchernoff, le millionnaire Terestchenko qui lécha les bottes du nouveau maître, le pâle Zeretelli aux yeux flamboyants, qui s’occupait alors du partage de la Russie et se laissa passer sous le nez la Géorgie. Là aussi se trouvaient Kokochkine et Chingareff, qui, six mois après, devaient être massacrés par ces mêmes Soviets, et furent abandonnés par Kerensky, lequel a su se mettre à l’abri et continue à vivre en paix.

De mon petit coin, entre deux rideaux, où se tient ordinairement l’aide du régisseur, je vis s’ouvrir une porte et Korniloff traverser la scène. Toute la salle éclata en applaudissements. Korniloff monta précipitamment dans une loge de côté, faisant face à celle où se tenaient les « reliques » de la révolution. Le parterre, debout, acclamait le commandant, suprême espoir de la Russie. Debout, dans les loges, officiers et généraux battaient des mains ; seuls les représentants des « Soviets des soldats et ouvriers » (qui pour la plupart n’avaient rien de commun ni avec les soldats ni les ouvriers), vautrés sur le velours des loges, présentaient un tableau répugnant.

Comme les applaudissements se prolongeaient, Kerensky, nerveux, s’impatientait Après le soldat énergique et maître de

  1. Partis de la droite modérée.