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passer au galop. Charrettes portant tout ce que nous possédions, primitives voitures d’ambulance où nos blessés étaient entassés, tout cela passa en trombe, dans un tapage de cris sauvages et d’appels des conducteurs. C’était un spectacle fantastique, une vision de rêve.

Devant nous, à cinq cents mètres, se trouvait le village de Medvedovskaïa. Nous y fîmes prisonniers Gritzenko et son état-major, envoyés « en expédition de répression, » et qui devaient « juger le village » le lendemain même.

Ce succès inespéré était dû à l’intrépidité et à la décision de Markoff. Grâce à lui, l’armée non seulement avait échappé à l’encerclement, mais était venue à bout d’un train blindé, en avait mis un autre en fuite et en avait fortement endommagé un troisième qui venait de Timochevskaïa. Tout notre convoi était sauf, nous n’avions pas perdu une seule charrette, et notre brave petite artillerie s’était approvisionnée de munitions.

Aux côtés de Markoff se couvrit de gloire le colonel Mïontchinsky. C’était lui qui avait pointé ses canons sur le train blindé. A l’armée volontaire depuis sa création, quand il tomba en 1919, il commandait l’artillerie de la division qui portait le nom du général Markoff ; il laissait de lui un souvenir ineffaçable. Il n’y a pas d’officier volontaire à qui le nom de Mïontchinsky ne soit familier et sacré.

Mais, je le répète, le gros du succès, l’essentiel de la victoire était dû à ce que l’armée en retraite, affaiblie, épuisée, qui s’était brisée contre Ekaterinodar et qui avait perdu son chef adoré Korniloff, avait été galvanisée par le courage de Markoff.


A Medvedovskaïa, je me trouvai séparé de l’armée qui faisait route avec le convoi vers Diadkovskaïa.

II y avait seize kilomètres à faire.

J’éprouvais une lassitude inusitée. J’entrai dans une ferme, je bus du lait et me remis en marche ; mais, de plus en plus, les jambes me refusaient le service. Je m’arrêtais à chaque pas, je culbutais, je désespérais de rattraper le convoi.

Ma bonne étoile me fit rencontrer une femme, ou plutôt une jeune fille-soldat, la charmante et toujours alerte Mlle Ignatiev. Me voyant dans l’incapacité d’avancer, elle vint à mon secours et c’est ainsi, m’appuyant à elle, avec des jambes de plomb, que