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Non, Verga n’avait pas la foi robuste de Zola dans les lois de la science et le progrès des lumières ; mais il n’a pas non plus, ce qu’on regrette souvent chez nos « naturalistes, » le parti pris de la canaille et de la boue, comme si réalisme était synonyme de laideur. Il n’a pas cette vision déformante de Zola, qui prête à la vie l’apparence d’un cauchemar tragique ou obscène. Les rustres de Maupassant font un peu l’impression de singes malfaisants, dont la vie tourne toute autour de deux pivots, l’avarice et la gaudriole. Verga est plus humain. Dans son œuvre, très circonscrite, la gamme est beaucoup plus variée. Il est trop « vrai » pour ne pas voir les turpitudes et les vices, en particulier le désir du gain, l’amour de l’argent et de la terre, plus encore que la sensualité ; mais il est trop juste aussi pour ne pas voir les vertus qui voisinent avec les vices et qui parfois s’y mêlent. Il a plus d’un ton, dirait-on de lui, comme M. Ingres disait qu’il avait plusieurs pinceaux. Nedda a le pathétique brutal de l’Histoire d’une fille de ferme, tandis que Nann Volpe (Jean Renard) est dans la meilleure veine des contes goguenards, du genre de Toine ou de la Ficelle. Le clavier moral s’étend depuis le type sauvage de Jeli le berger, qu’on prendrait pour « l’enfant de ses cavales, » et qui fait, pour comprendre, « la grimace des bêtes qui se rapprochent le plus de l’homme, » jusqu’à cette Pina, dite la Louve, avec « ses yeux qui vous mangeaient, » possédée de luxure et d’inceste, comme une Phèdre de village, et que son amant finit par abattre à la hache, pour tuer le péché.

Pour définir cet art de Verga, rien ne vaudrait de relier les Malavoglia. Le sujet, on l’a vu, est à peu près le même que celui de l’Assommoir ; c’est une tragédie de famille, l’histoire de la ruine d’une maison de pêcheurs. On y voit les désastres qu’introduisent, dans un de ces milieux où la vie n’avait pas bougé depuis des siècles, la contagion des idées nouvelles, « le désir du bien-être, l’inquiétude de changer, l’amour de l’inconnu, la sensation soudaine qu’on est mal à son aise, ou du moins qu’on pourrait être mieux. » C’étaient pourtant de braves gens que ces Malavoglia, en dépit de leur nom, courageux et durs à la peine, ne boudant pas l’ouvrage, et qui, depuis des générations, avaient toujours eu, à Trezza, « des barques sur la mer et des tuiles au soleil. » Le vieux, le patron ‘Ntoni (Antoine), avait mené sa barque en dépit des bourrasques,