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de la situation : la question qui y est débattue est celle même que se posent à cet instant tous les spectateurs. Nous sommes ici au cœur du drame.

Je crois bien que, s’il eût été seulement en présence des faits de la cause, par scrupule de conscience et souci de sa réputation d’intéerité, Martigny eût, comme un confrère lui on avait donné l’exemple, rendu le dossier. Mais il a aimé, il aime Mme du Coudrais. Qui ne sait que l’amour est, lui aussi, un assez bon avocat, encore qu’un peu sophiste ? Martigny s’est persuadé qu’il pouvait défendre Mme du Coudrais, en se tenant dans certaines limites et s’interdisant certains arguments. Et puis, une fois à la barre, il a franchi toutes les bornes, dépassé toutes les limites, bousculé tous les scrupules, et manqué éperdument à sa promesse. Comment cela s’est-il fait ? De la façon la plus naturelle. M. Brieux a très heureusement souligné cette influence du milieu et du moment qui, pendant les débats, a fait de Martigny un autre homme. Dans l’ambiance de la Cour d’assises, dans l’entraînement de l’action oratoire, un être a surgi, qui est l’être de métier, l’homme de la fonction. L’avocat dans la lutte, comme le soldat sur le champ de bataille, n’a plus qu’une pensée : vaincre. Une mentalité spéciale s’est développée en lui, une sincérité de circonstance, dont il est, lui-même, étonné et un peu confus, une fois le succès obtenu et l’excitation de la bataille refroidie. « La résistance du jury, celle de l’accusée m’ont exaspéré. Tout m’était ennemi. J’ai voulu l’acquittement. Je n’ai plus eu que ce but. Tout ce qui pouvait me gêner pour l’atteindre n’existait plus... C’est alors que j’ai senti l’absolue nécessité de montrer ce qu’était M. du Coudrais. J’ai alors évoqué toutes les tortures qu’il faisait subir à sa femme ; je les ai étalées, expliquées, exagérées, oui, exagérées. Ah ! je vous jure que le souci de la vérité et le souvenir des prières de M. du Coudrais étaient bien loin de moi. J’aurais piétiné toute l’humanité pour arriver à mes fins. » Là je crois, est la clé du problème. C’est la réponse à un certain étonnement que nous causent parfois de chaleureuses plaidoiries en faveur de brutes, pour qui il nous parait qu’un honnête homme ne devrait trouver ni accents d’émotion ni mots de pitié. Nous raisonnons ; l’avocat est dans l’action : il ne raisonne pas. Nous jugeons à tête reposée, à l’air libre : l’avocat est plongé dans une atmosphère chargée d’effluves qui lui montent à la tête.

Maintenant que Martigny a sauvé sa cliente, par des moyens dont il est un peu humiliée, et la réaction s’étant faite, il est moins curieux