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d’avoir des éclaircissements sur ce crime dont il l’a fait acquitter, et qui reste mystérieux. Mme du Coudrais, au contraire, tout à l’heure secrète et muette, brûle de s’expliquer. Vous vous rappelez la fameuse lettre cachetée : Mme du Coudrais tient à la décacheter devant Martigny. Il apprend ainsi qu’il a été, à son insu, la cause du meurtre. Le soir fatal, le mari jaloux, embusqué sur son passage, l’attendait pour le fusiller. Un seul moyen pouvait lui sauver la vie : le moyen énergique devant lequel n’a pas reculé Mme du Coudrais.

Et maintenant, peut-on croire qu’un jour Mme du Coudrais deviendra Mme Martigny ? Cette vie qu’ils se sont conservée l’un à l’autre, l’achèveront-ils ensemble ? La morale du théâtre qui, elle aussi, est assez spéciale, n’y mettrait aucun obstacle. La morale de M. Brieux est plus sévère. Le rapprochement de deux êtres séparés par un souvenir de mort lui a paru impossible. « Vous êtes libre, » affirme Marligny à son amie. Mais elle : « Je suis libre par un crime, et j’ai échappé à la justice par mes mensonges... et par le mensonge que vous avez fait pour moi. Je me suis avilie et je vous ai avili... Je ne pourrais m’empêcher de songer combien mon bonheur aurait coûté aux autres. Il serait né dans le sang et dans les larmes... Mon ami, je ne puis vous donner que mon cœur. Vous l’avez, il est à vous... Adieu. La mort, cette fois, est plus forte que l’amour. » Cette conclusion, que M. Brieux avait seulement esquissée dans une première version et qu’il a heureusement développée aux représentations suivantes, termine le drame sur une note de gravité triste et d’humanité douloureuse. L’impression que nous emportons de ces trois actes est d’avoir passé par beaucoup d’émotions et remué pas mal d’idées. Ai-je besoin de remarquer que l’un des mérites essentiels de la pièce est cette probité de pensée, cette élévation de sentiments, qui est la marque de M. Brieux, et son honneur ?

J’ai déjà dit le grand succès de M. Berthier dans le rôle de M. du Coudrais. M. Louis Gauthier, l’avocat, toujours en scène, porte le poids principal de la pièce, et le porte avec aisance. Mlle Falconelti, dans le rôle de Mme du Coudrais, qui n’est un rôle muet qu’aux deux premiers actes, a de la grâce et de l’émotion. Et M. Armand Bour dessine un bon type de magistrat à l’ancienne mode.


RENÉ DOUMIC.