Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1922 - tome 11.djvu/958

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ce qui peut être sauvé : c’est pourquoi elle change de pilote. Mais le caractère du nouveau Gouvernement n’a pas échappé aux Turcs ; ils craignent une conjonction nouvelle de la politique anglaise et du venizélisme : c’est l’explication des incidents qui, depuis quinze jours, sont tenus à la traverse de l’application normale de l’accord du 23 septembre. L’une des conditions posées par les officiers révolutionnaires était : renforcement du front de Thrace ; ils ont exigé la nomination du général Nider au commandement de l’armée ; les Turcs le savent et les voyages de M. Venizélos à Londres et à Paris les ont alarmés non sans quelque apparence de raison.

Il nous appartient d’apaiser leurs inquiétudes. L’abdication de Constantin est pour nous une satisfaction morale ; M. Venizélos nous apparaît digne de respect et de sympathie ; il a donné des preuves de ses sentiments d’amitié pour la France, notamment en août 1914 dans des circonstances inoubliables ; il est agréable de savoir que le ministère des Affaires étrangères est confié à M. Politis, agrégé de nos facultés de droit, et de rencontrer dans les couloirs du quoi d’Orsay le sourire aimable de M. Athos Romanos. Mais les sympathies que nous pouvons avoir pour le peuple hellénique et ses nouveaux dirigeants ne doivent pas nous égarer sur la politique qui sera, qui ne peut pas ne pas être, la leur. C’est M. Venizélos, — il faut bien le rappeler, — qui a engagé l’Hellade, avec toutes ses forces, et l’hellénisme, avec tout son avenir, au service de la suprématie maritime et de la domination asiatique de la Grande-Bretagne : il a poursuivi le rêve, hors de toute proportion avec les ressources de son pays, de la reconstitution d’un empire grec à Byzance. La conjonction entre les aspirations britanniques et helléniques était assurée par ces Grecs du dehors que les citoyens du royaume appellent des évergètes (bienfaiteurs) parce qu’ils mettent leur fortune au service de l’idée et de la politique nationales, et dont sir Basil Zaharoff est aujourd’hui le type le plus caractéristique. L’État grec, insulaire et péninsulaire, est, quelles que paissent être les préférences des particuliers pour d’autres peuples, dans la dépendance de la Puissance qui détient la suprématie sur les mers. Devenu Puissance continentale balkanique par les traités de Bucarest et de Neuilly, il est obligé, pour garder, dans des conditions difficiles, ses provinces de Thrace et de Macédoine, de pratiquer une tactique de désagrégation, de désunion balkanique, car la conjonction qu’il redoute, c’est celle de toutes les forces jougo-slaves attirées vers la mer Egée. La personnalité des dirigeants est d’importance secondaire ; quelles que soient nos sympathies